Des laïcs avec étoles
Publié le 5 Novembre 2017
La revue diocésaine Carrefours d’Alsace de novembre 2017 publie, en p. 11, un document sur les laïcs accompagnant les funérailles en paroisse. La photo qui l’illustre présente une telle équipe « Funérailles ». On y voit six laïcs, quatre femmes et deux hommes, revêtus d’une belle étole blanche. Mais, rassurez-vous, cette étole n’est pas portée à la manière des prêtres et des diacres, il s’agit plutôt d’une écharpe enroulée autour du cou, un pan sur la poitrine et l’autre dans le dos. Seul le prêtre les accompagnant pose sans étole, ni col romain, ni croix épinglée au demeurant, il n’est pas un adepte de ces signes ostentatoires et sympathiquement connu pour cela.
L’article en question rend compte de plusieurs expériences d’accompagnement de funérailles par des laïcs. Ceux-ci accomplissent un admirable service pastoral. Dans l’ensemble le clergé les y encourage, ce qu’il se garde de faire pour un service pourtant analogue, l’animation des célébrations dominicales. Cela peut se comprendre : la pastorale des familles en deuil est une tâche délicate, qui peut réclamer beaucoup de temps, des initiatives courageuses, à la rencontre de souffrances et de désespoirs. Si des laïcs s’y engagent, le clergé s’en trouve soulagé. Tandis que pour les eucharisties dominicales le clergé se trouve plus à l’aise, et certains en jouissent encore bien davantage s’ils ont le sentiment d’une fonction spécifique, identitaire et qui peut rassembler à leurs pieds les foules (ou ce qu’il en reste) de plusieurs localités à la fois.
Revenons aux équipes « Funérailles ». L’article en question rapporte le propos d’une de ces laïques engagées : « Nous ne prenons pas la place du prêtre et nous ne reproduisons pas ses gestes ! D’ailleurs, nous veillons bien à ne jamais nous placer derrière l’autel. » Les consignes venues d’en-haut, sans doute des commissions liturgiques nationales, sont donc bien suivies. Ces laïcs s’y soumettent certainement de bon gré, soucieux avant tout de rendre service dans les situations délicates du deuil et sans s’embarrasser des subtiles distinctions ecclésiastiques entre « ministres ordonnés » et les autres qui, en l’occurrence, ne sont nullement désordonnés.
Ailleurs encore, dans les cercles ecclésiastiques, on veille strictement au respect de ces distinctions, comme dans le Livre des bénédictions (Congrégation pour le Culte divin, 1984). Ce rituel permet à des laïcs de procéder à certaines bénédictions, de rang inférieur bien sûr, comme celles des voitures, des routes, des bateaux et des animaux, mais avec ces réserves : « Le ministre dit la prière de bénédiction, les mains étendues, s’il est prêtre ou diacre ; sinon, les mains jointes » (n° 668 et 736). Cette différence dans les rites est visible et perceptible, si bien que les personnes demandant la bénédiction pourraient même penser que Dieu répond différemment à la prière, selon que le ministre étend les mains ou les joint, et considérer la bénédiction par un laïc comme de moindre efficacité. Mais que demandent ces prières ? Pas autre chose que ces dons si souvent sollicités, mais aussi promis dans la Bible : la bienveillance de Dieu, sa protection et ses secours. Les laïcs ne peuvent-ils donc étendre les mains sans froisser le clergé et compromettre son identité ?
En constatant ces subtiles différences rituelles on en vient à se demander : les bénédictions sont-elles destinées au bien des fidèles qui les demandent ou à la mise en valeur du clerc qui intervient ? L’introduction du Livre des bénédictions entretient l’ambiguïté à cet égard. En effet, dans les normes énoncées pour l’accomplissement de ces rites (p. 8-10) et sous le titre « Les services et les ministères », il y est expliqué ceci, à propos des laïcs :
« Les acolytes et les lecteurs, qui ont un service particulier dans l’Église du fait de l’institution qu’ils ont reçue, ont le pouvoir de donner certaines bénédictions de préférence aux autres laïcs, au jugement de l’Ordinaire du lieu. Les autres laïcs, hommes ou femmes, en vertu du sacerdoce commun dont ils ont reçu la charge à leur baptême et leur confirmation, peuvent célébrer certaines bénédictions, avec les rites et les formules prévus pour eux… »
À bien considérer ce règlement, on constate que la notion de pouvoir résiste à toutes les généreuses déclarations inspirées par le concile Vatican II, puisque dans ce règlement on trouve ce propos : « les acolytes et les lecteurs … ont le pouvoir de… » Mais qu’on se rassure vite : les ministères d’acolytes et de lecteurs, idéalement restaurés en 1972, sont quasi inexistants, ce ne sont que des étapes vers l’ordination diaconale, ces acolytes et lecteurs n’abuseront donc guère de leur pouvoir de bénédiction. Pourtant, si la bénédiction est l’œuvre de Dieu, il est indécent d’en faire un « pouvoir » clérical. Les ministres des bénédictions ne font que prier, puisque le principal propos de toutes les oraisons de bénédiction est une invocation en faveur des fidèles destinataires. Si on agrémente ces bénédictions de moult maniements de goupillon et même d’abondantes aspersions d’eau bénite, il n’y a là aucune manifestation d’un pouvoir authentique, ce ne peut être que l’apparence d’une prise de possession : l’eau bénite n’est pas magique, elle n’est que la mémoire du baptême.
Ce règlement sur les ministres des bénédictions véhicule aussi une compréhension contestable des sacrements, puisqu’elles les considère comme source de droits. Le raisonnement dérive de la théorie scolastique de l’eucharistie et de l’ordination presbytérale. En effet, parce que les théologiens médiévaux ont réduit l’eucharistie à la transformation des oblats (ce qu’ils ont appelé « transsubstantiation ») et estimé que celle-ci était réalisée par l’énonciation par le prêtre des paroles du Christ sur le pain et le vin, l’ordination presbytérale a été comprise comme l’attribution du pouvoir de consacrer le pain et le vin. Dans cet ordre d’idées, les théologiens se sont ingéniés à relier les différents « pouvoirs » exercés dans l’Église à des sacrements censés leur correspondre. C’est ainsi qu’on a attribué au baptême et à la confirmation les « pouvoirs » que les clercs voulaient bien concéder aux laïcs. Or toutes ces théories ont été sapées à la base, puisque le rituel de l’ordination presbytérale révisé à la suite du concile Vatican II a été délesté du cérémonial médiéval de la remise des pouvoirs.
Marcel Metzger