La Vraie et les Fausses Marie Madeleine [B]

Publié le 23 Juillet 2011

B.  MARIE MADELEINE D’APRÈS LE TÉMOIGNAGE  DES ÉVANGILES

Avant la rédaction des Évangiles, entre l’exécution de Jésus (en 30) et la  rédaction  des Évangiles (entre 65 et 100),  un temps assez long s’est écoulé. Pendant ces années :

  • Le christianisme est sorti des frontières  géographiques  de la Palestine et des frontières culturelles du judaïsme.
  • Toutes les lettres écrites de la main de Paul ont paru. Elles ne contiennent jamais la dénomination « Jésus de Nazareth » et ne font  aucune allusion à Marie Madeleine.   
  • Ce n’était pourtant pas le silence absolu. De nombreuses traditions orales, et probablement des écrits sur l’action et les paroles de Jésus aujourd’hui disparus, ont pu être produits en différents endroits...  Quand Paul disparaît (probablement en 67), Marc qui a connu Paul, écrit son Évangile. Luc, Matthieu et Jean suivront.
  • Paul avait annoncé Jésus Christ ressuscité. Les évangélistes vont mettre en scène cette résurrection[12].  Leurs récits sont des témoins historiques sur la manière dont les chrétiens de la 2ème et de la 3ème génération ont vu la place de Marie Madeleine dans la vie de Jésus et au début de l’Église naissante. 


La présence de Marie Madeleine dans les quatre Évangiles

Dans les quatre Évangiles canoniques, Marie Madeleine est la femme la plus souvent mentionnée (14x) après Marie, mère de Jésus (19x). Lorsque son nom  apparaît dans le texte avec d’autres femmes, à une exception près, elle est toujours citée en premier.

Que disent les quatre Évangiles de Marie Madeleine ?

On peut regrouper les données qui y figurent en sept tableaux [13]  :

1. Marie Madeleine  fait partie de l’entourage de Jésus.
2. Elle est  présente à l’exécution de Jésus.
3. Elle est présente face au tombeau après l’ensevelisse- ment. 
4. Elle participe à la préparation des aromates.
5. Le matin du premier jour, elle se rend au tombeau (ouvert et vide).
6. Le Ressuscité lui apparaît. Elle est chargée de mission.  
7. Elle annonce la résurrection aux disciples.

Chaque Évangile évoque la plupart de ces points, mais présente également des caractéristiques propres.

1. L’Évangile selon Marc : Le texte le plus ancien... (vers l’an 70) [14]

a) Premier récit :  15,40-41+47  Jésus vient d’expirer sur la croix. Marc écrit : 

« Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé,  qui  le  suivaient et le servaient  lorsqu’il était en Galilée et beaucoup d’autres femmes qui étaient montées avec lui à Jérusalem. » 
 
L’auteur insiste sur le fait que ces femmes ont fait partie du groupe de disciples depuis le début en Galilée jusqu’à la croix. Le rôle de ces femmes est caractérisé  par deux verbes :

1. Elles suivaient  Jésus comme des disciples. Le verbe : akolouthein peut être traduit par « accompagner » mais désigne aussi ceux qui sont appelés comme disciples  : Simon et André, les pêcheurs, Lévi le douanier, Le jeune homme riche qui n’arrive pas à faire le pas.

2. Elles servaient Jésus. Le verbe servir diakonein ne désigne pas seulement le service de la table, mais l’attitude fondamentale du disciple « qui n’est pas au-dessus du maître » et qui doit être « comme celui qui sert » [15].

Ce texte est un témoin historique du fait que dans les années soixante, les premiers chrétiens ne voyaient aucun problème à l’existence de femmes disciples.

Après la mise au tombeau de Jésus les femmes sont toujours présentes : « Marie de Magdala et Marie mère de Joset  regardaient où Jésus avait été placé. » (v.47)

b) Deuxième récit : 16,1-8. Le sabbat étant passé, Marie de Magdala avec Marie, mère de Jacques et Salomé achètent des aromates pour oindre le corps de Jésus. La pierre du tombeau est roulée. Un jeune homme vêtu d’une robe blanche leur annonce : « Il est ressuscité. Il n’est pas ici. »... « Allez dire à ses disciples notamment à Pierre qu’il vous précède en Galilée».

Marie de Magdala et ses compagnes reçoivent officiellement mission d’informer Pierre. Mais la suite du texte semble déconcertante : « les femme s’enfuient... elles ne disent rien à personne, car elles avaient peur... »  Fin du texte primitif.      

l’Évangile de Marc se terminait par la peur des femmes.   Dans la suite on y ajoutera une conclusion plus rassurante inspirée des autres Évangiles. C’est dommage,  car l’échec sur lequel semble s’achever l’Évangile de Marc n’est pas une fin en soi, mais une expérience à dépasser. En effet Marc a mis comme titre à son Évangile: « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu... » (Mc 1,1). Avec le dernier verset nous sommes toujours dans ce « commencement. » C’est une ouverture vers l’avenir et un appel.

c) Que dit la conclusion (plus tardive) (16,9-13) concernant Marie Madeleine ?

V. .9  « Ressuscité  le matin,  le  premier  jour  de  la  semaine, Jésus apparut d’abord  à Marie de Magdala dont il avait  chassé  sept  démons.  10  Celle - ci alla  le  rapporter à  ceux   qui  étaient  ses compagnons  et  qui étaient dans le
deuil  et  les  larmes.  11 Eux l’entendant dire qu’il vivait  et qu ’ elle l’ avait  vu, ne  la  crurent  pas.  »

Retenons de Marc que les premières au tombeau étaient les femmes, que la toute première était Marie Madeleine, que ces femmes avaient suivi et servi Jésus dès le début, qu’elles étaient chargées de mission et avaient peur de parler.

Nul ne sait ce qu’elle est devenue Marie de Magdala dans la suite et si elle vivait encore au moment de la rédaction de cet Évangile dans les années soixante. Elle aurait alors entre cinquante et soixante ans.
 
2. L’Évangile selon  Luc (années 80-85)

a) Un texte propre à Luc : 8, 2-3

Luc est le seul a noter la présence de femmes accompagnant Jésus au cours de l’action de Jésus. Les autres évangélistes ne l’évoquent, qu’au moment de l’exécution de Jésus.

« Jésus faisait route à travers villes et villages et annonçait  la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, et les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres, qui les assistaient de leurs biens. » (Lc 8,2-3).

Dans ce texte, Luc, qui était probablement médecin, parle de la guérison de Marie Madeleine. N’oublions pas que dans l’antiquité chasser des démons, ou des esprits mauvais, signifiait  « guérir d’une maladie ». Luc  place Marie Madeleine en tête des femmes qui accompagnent Jésus avec les douze apôtres.

Les Douze avaient été appelés par Jésus[16].  Mais les Évangiles ne disent pas que Jésus a appelé Marie Madeleine et les femmes. Cela peut s’expliquer, car d’une part l’institution des douze apôtres voulait évoquer les douze tribus d’Israël, dont les ancêtres étaient des hommes. D’autre part le témoignage des femmes n’était pas reçu à l’époque. Cependant ne pourrait-on pas regarder les guérisons physiques et psychiques comme une réhabilitation sociale et religieuse qui permet de remplir une mission ?

En tous les cas cela a conduit Marie Madeleine à suivre Jésus. S’il n’y a pas d’appel explicite, il y a réponse concrète. D’ailleurs Luc relie directement les femmes qui accompagnent Jésus au groupe des apôtres : «Les Douze étaient avec Jésus ainsi que quelques femmes.» Lc 8,2 [17].

 b) Après la mort de Jésus : 23,49. 55-56 

 « Se tenaient à distance tous ses amis (cf. Ps 38,11) et des femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée. » (23,49)...

« Or les femmes qui étaient venues avec lui depuis la Galilée ayant suivi (Joseph) regardèrent le tombeau et  qu ’ elle l’ avait  vu, ne  la  crurent  pas.  »

Retenons de Marc que les premières au tombeau étaient les femmes, que la toute première était Marie Madeleine, que ces femmes avaient suivi et servi Jésus dès le début, qu’elles étaient chargées de mission et avaient peur de parler.

Nul ne sait ce qu’elle est devenue Marie de Magdala dans la suite et si elle vivait encore au moment de la rédaction de cet Évangile dans les années soixante. Elle aurait alors entre cinquante et soixante ans.
 
« Et revenues, elles  préparèrent aromates et parfums. Et le sabbat, elles se reposèrent selon le commandement. » (23,56 : verset propre à Luc). Pas de mention explicite de Marie Madeleine. Mais elle fait partie des femmes venues de Galilée.

c) Le  matin de Pâques : 24,1-11

Les femmes vont au tombeau portant les aromates qu’elles avaient préparées. La pierre est roulée. Le tombeau est vide. Deux hommes en habit éclatant les interpellent :  « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? » (question propre à Luc)...

Les femmes vont rapporter spontanément aux onze et à tous les autres ce qu’elles ont vu au tombeau. « C’étaient Marie de Magdala, Jeanne et Marie mère de Jacques. Les autres femmes qui étaient avec elles le dirent aussi aux apôtres. Mais ces paroles leur semblèrent pur radotage, et ils ne le crurent pas. » (24,11).

On peut comparer cette réaction à celle plus nuancée des disciples d’Emmaüs (également dans Luc) : « Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai,  bouleversés. S’étant rendues de grand matin au tombeau et n’y ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire que des anges mêmes leur étaient apparus, qui le déclarent vivant. » (24,22-23).


3. L’Évangile selon Matthieu (rédaction finale vers 90) 

a) À la croix : 27,55-56 et au tombeau : v. 61.

Comme Marc, Matthieu mentionne Marie Madeleine en premier parmi les femmes de Galilée présentes au calvaire,  puis il évoque son attente, assise avec l’autre Marie devant le tombeau où on avait placé le corps de Jésus. (M 28,1).

b) Le matin de Pâques

Marie Madeleine est de nouveau la première  avec l’autre Marie devant le tombeau. Elles reçoivent par un ange une première mission : « Allez dire aux disciples, il vous précède en Galilée... » (28,1-6).  La mission est confirmée  par Jésus lui-même qui apparaît aux deux femmes (v.8-9)

La dernière fois que Matthieu parle des femmes dans son Évangile, c’est pour affirmer à deux reprises qu’elles (Marie Madeleine et l’autre Marie) sont chargées de mission (Mt 28,6-10) par Jésus lui-même et avant les apôtres. C’est pour le moins étonnant. D’autant plus que ces textes  expriment la manière de voir à la fin du 1er siècle.


4. L’Évangile selon Jean. Le plus audacieux  (vers la fin du 1er siècle)
                                                                            
Cet écrit fut achevé vers la fin du premier siècle par une équipe de disciples de Jean. Concernant Marie Madeleine c’est le plus audacieux. Comme dans les autres Évangiles, Marie Madeleine  est présente près de la croix avec d’autres femmes. Elle n’est pas mentionnée la première mais la dernière : « Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la soeur de sa mère, Marie (femme) de Clopas et Marie la Magdaléenne. » (Jn 19,25)  [19].

Mais, à la différence des autres Évangiles, les récits du matin de Pâques ne parlent que d’elle, ceci par un récit en deux tableau.

a) Le premier tableau : 20,1-10

« Marie Madeleine vient au tombeau alors qu’il fait encore sombre.  Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court et elle vient à Simon Pierre et à l’autre disciple que Jésus aimait (Jean ?). Elle leur dit :‘Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis.’ » (v.1-2). Les deux disciples courent au tombeau. ‘L’autre disciple’ arrive le premier. Il voit et il croit. (v.3-9).  Pour Jean, Marie de Magdala est la seule et la première à découvrir le tombeau vide et à prévenir spontanément Pierre et l’autre disciple. (v.1-10).

b) Le deuxième tableau 20,11-18, présente Marie de nouveau près du tombeau.

Elle voit deux anges qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Pour la deuxième fois elle exprime sa question : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont déposé. » Elle se retourne, voit Jésus sans le reconnaître, qui lui demande : « Femme pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Une troisième fois, le prenant pour le jardinier, elle exprime son inquiétude : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre. » Jésus lui dit : « Marie ! »  Elle le reconnaît et lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est à dire « Maître ! ». Marie veut retenir Jésus. Peut-être se jette-elle à ses pieds pour les tenir embrassés. Jésus dit littéralement : « Cesse de me toucher ». Ce que l’on peut traduire par : « Ne me retiens pas ! »  [20] (20,11-17).

Pour Marie, le Jésus qu’elle a rencontré semblait d’abord être celui qu’elle a connu durant sa vie terrestre. Pourtant la suite des paroles de Jésus ouvrent sur l’avenir : « Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver les frères et  dis leurs : ‘ Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.’ ». (20,17).

Le récit s’achève sur une deuxième annonce de Marie de Magdala aux disciples, une annonce officielle pour laquelle elle a reçu mission : « Va trouver les frères et dis-leur ! » (Jn 20,11-18). 

Ainsi, d’après l’Évangile de Jean, Marie de Magdala est la première messagère d’abord spontanée, ensuite officielle de la résurrection de Jésus (Jn 20,18). Il s’agit d’une annonce faite par une femme à des hommes, eux aussi chargés de mission.

Il faut peser ce que cela signifie. Environ 60 ans après la mort de Jésus, alors qu’une grande majorité des chefs des Églises étaient déjà des hommes, l’auteur de l’Évangile de Jean affirme clairement que la première personne qui fut chargée d’annoncer la résurrection, non pas au tout-venant, mais aux premiers Apôtres, est une femme, Marie de Magdala[21]. 

Les prédécesseurs des papes (Pierre) et des évêques (Jean) reçoivent ainsi l’initiation au mystère fondamental de la Résurrection par une femme.

Depuis on a oublié la portée de ce texte. En revanche on affirme souvent le contraire par des théories, des paroles, des pratiques et des décisions soi-disant « éternelles ». À une époque où les femmes trouvent de plus en plus leur place dans la sociétés elles ne peuvent la trouver dans l’Église catholique romaine.

Si on avait pris au sérieux ces textes  concernant Marie Madeleine, il en serait peut-être autrement aujourd’hui...


[12]  qui sera placée dans la foulée des récits de la passion. 
[13]  d’après  Cahier Évangile  supplément  N° 138  Figures de Marie Madeleine p.4 ( cité ensuite : CE 123 o.c.)
[14]  L’ordre de présentation des Évangiles est l’ordre historique de leur parution.

[15] Pour plus de détails voir dans Découvrir toutes les femmes de la Bible p. 202. (A.Hari, Novalis. 2007)

[16] Mt 10,1-4 ; Mc  3,14-19 ; Lc 6,3-13. 
[17]  « ho dôdéka sun autô kai gunaikes tines... »

[18] Le récit pascal de Matthieu, comme celui de la mort de Jésus, utilise des images apocalyptiques.  À la mort de Jésus : la terre tremble, les rochers se fendent, les tombeaux s’ouvrent... (Mt 27,51-52). À la résurrection : un grand tremblement de terre, l’Ange du Seigneur intervient. C’est lui qui roule la pierre. Il a l’aspect de l’éclair. Les gardes son saisis d’effroi. ( Mt 28,3-4).

[19] Dernière nommée près de la croix, elle sera la première et la seule au matin de Pâques.
[20] « L’expression originelle mè mou haptou ne doit pas se traduire par «ne me touche pas » (noli me tangere), car en grec le temps présent de l’impératif singulier signifie non pas que telle chose doit être faite, mais que telle action commencée doit se poursuivre ; précédé d’une négation, il signifie non pas la défense de poser un acte, mais de continuer une action déjà commencée » Xavier Léon-Dufour. cf. Découvrir o.c. p  223. 

[21] Cette place prépondérante attribuée à Marie Madeleine ne doit pas faire oublier l’attitude de toutes les femmes présentes le « premier jour de la semaine » Voici les éléments communs des Évangiles sur ce rôle des femmes :  relevés par Xavier Léon-Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, le Seuil 1971
1. La mention du premier jour de la semaine. 2. Les femmes prennent l’initiative. 3. Elles arrivent avant les apôtres. 4. Elles savent ce quelles veulent. Elles ont une intention précise concernant le corps de Jésus.
5. L’entrée du tombeau était dégagée, la pierre roulée. 6. Les femmes voient un ou des messagers (un jeune homme, un homme, un ange ou deux anges). Ceux-ci ont tous quelque chose de commun : un habit éclatant suggérant que leur message est d’origine divine. 7. Ces messagers annoncent aux femmes que Jésus n’est pas ici. Ils les invitent donc à le chercher ailleurs, sous une autre forme de présence. 8. Ils leur annoncent le message pascal alors qu’aucun apôtre n’est pas encore présent. 9. Les femmes réagissent. 10. Les messagers leur confient une mission face aux disciples, ou aux apôtres, sauf en Luc, où elles partent spontanément annoncer l’étonnante nouvelle.
Ces données communes aux quatre Évangiles remontent à une tradition plus ancienne et permettent de supposer que la présence des femmes les premières au tombeau était bien un fait historique.  Dans le climat machiste de l’époque on ne l’aurait pas inventé (embarras ecclésiastique).

Rédigé par jonasalsace

Publié dans #@femmes

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