La Vraie et les Fausses Marie Madeleine [C]
Publié le 23 Juillet 2011
C. MARIE MADELEINE À TRAVERS LES SIÈCLES
1. Marie de Magdala est rapidement récupérée par le courant gnostique [22]
Il est étonnant de voir que Marie Madeleine ne trouve qu’une place assez restreinte dans les écrits « non canoniques » (apocryphes) [23] , à l’exception du courant gnostique, dans lequel elle fait une entrée remarquable.
Gnose signifie la connaissance. Les écrits gnostiques témoignent d’un courant mystique répandu dans le monde hellénistique et juif dans les premiers siècles de notre ère. Pour la gnose le salut se réalise par la connaissance des mystères... et nécessite l’initiation aux secrets.
Dans les Églises gnostiques, contrairement à la grande Église qui donnera à Pierre la première place, le rôle de Marie de Magdala est prépondérant, plus important que celui des apôtres, car elle eut le privilège de la première apparition après la résurrection... Ces écrits ne disent pas grand chose de sa vie, mais suggèrent qu’elle doit être regardée comme la première des apôtres.
Deux écrits publiés récemment permettent de faire la lumière sur la manière dont au 2ème siècle des communautés chrétiennes (gnostiques) essayaient d’intégrer Marie Madeleine dans leur réflexion de foi. Ces écrits utilisent le genre littéraire et le titre « Évangile ». Il s’agit de L’Évangile de Marie (Madeleine) et de L’Évangile de Philippe. Que disent-ils de Marie Madeleine ?
Voici ce qu’écrit l’Évangile de Marie [24]:
« Pierre dit à Marie : ‘ Nous savons que l’Enseigneur (Jésus) t’a aimée différemment des autres femmes... Dis-nous les paroles qu’il t’a dites dont tu te souviens et dont nous n’avons pas connaissance...’ » (nécessité d’être initié).
Dans une discussion avec Marie et André, Pierre ajoute : « Est-il possible que l’Enseigneur se soit entretenu ainsi avec une femme, sur les secrets que nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes ; écouter cette femme ? L’a-t-il vraiment préférée à nous ?... » (Marie Madeleine égale des Apôtres)
L’Évangile de Philippe [25] parle également de Marie Madeleine, appelée Myriam dans la traduction qui suit. Il présente trois personnes qui marchaient toujours avec l’Enseigneur :
« Marie, sa mère, la soeur de sa mère et Myriam de Magdala qui nous est connue comme sa compagne (koïnonos) , car Myriam est pour lui une soeur, une mère et une compagne (koïnonos)... »
Cet Évangile évoque une deuxième fois Marie Madeleine : « ... La compagne (koinonos masculin) du Fils est Marie de Magdala. L’Enseigneur aimait Myriam plus que tous les disciples. Il l’embrassait souvent sur la bouche. Les disciples le voyant ainsi aimer Myriam lui dirent : ‘ Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous ?’ L’Enseigneur leur répondit :’Pourquoi ne vous aimerais-je pas autant qu’elle ?’ »
Selon le cahier Évangile (Sup N° 138) « la lecture sexuelle du texte constitue un contresens complet. » En effet l’Évangile de Philippe appartient à la forme ascétique de la gnose.
Comme toutes les gnoses elle repose sur une série de principes identiques :
1. Un dualisme strict : le monde du bien et celui du mal, à égalité...
2. Une narration de chute et de salut par la connaissance.
3. Une vision du monde très pessimiste.
« Du point de vu gnostique toute relation sexuelle doit être bannie : faire des enfants c’est participer au mensonge, c’est enfermer des parcelles de bien dans autant de prisons. D’après la gnose, Jésus et Marie Madeleine ne pouvaient donc pas avoir d’enfant. ». Les gnostiques ont inventé un sacrement : « la chambre nuptiale ». Il s’agit d’un mariage spirituel qui n’est pas souillé par des relations sexuelles.
Quel sens alors donner au fameux baiser christique ?
« Le salut gnostique passe par une réconciliation du masculin et du féminin dans un « devenir homme ». Marie Madeleine n’est pas l’ami de Jésus, mais son compagnon (masculin) alter ego. De même qu’il y a équilibre masculin féminin dans le cosmos, un couple originel Adam et Eve (qui provoque la chute) il y a équilibre entre le couple Jésus et Marie-Madeleine qui apporte le salut [26].
Ces textes datent du 2ème siècle. Ils sont historiques dans le sens qu’ils nous disent comment des chrétiens de ce siècle essayaient d’intégrer le souvenir de Jésus et de Marie Madeleine dans leur démarche. Deux questions semblaient les préoccuper : d’une part quels secrets Marie Madeleine aurait-elle pu connaître et d’autre part quels étaient les rapports de Jésus avec Marie Madeleine ?
Mais ces textes ne sont pas historiques pour dire ce qui s’est passé dans les années 28 à 30 du premier siècle. Leur contenu ne peut pas être transposé automatiquement tel quel un siècle auparavant. Ils ne nous permettent aucunement de conclure que Jésus de Nazareth était marié avec Marie de Magdala.
Ces écrits témoignent cependant de la liberté de pensée et de parole qu’avaient pris ces chrétiens et de la place que tenait Jésus et Marie Madeleine dans leur méditation et leur recherche de la connaissance.
2. Le souvenir de Marie de Magdala est faussé dans la tradition occidentale
a) Au point de départ de la confusion figurent deux récits d’une onction faite à Jésus par une femme.
1° Premier récit : l’onction de Jésus par une pécheresse anonyme et pardonnée en Lc 7,36-50
L’épisode se passe chez un pharisien Simon qui a invité Jésus à un repas. Survint une femme (non nommée) mais présentée par le narrateur comme « une pécheresse qui était dans la ville » (non nommée)[27].
« Ayant appris que Jésus était à table chez le Pharisien, elle avait apporté un vase d’albâtre avec du parfum » (v.37) « Et s’étant placé en arrière près des pieds de Jésus, en pleurant, elle se mit à mouiller [28] les pieds de ses larmes, les essuyait avec les cheveux de sa tête, les couvrait de baisers et les oignait de parfum. » (v.38). Simon le pharisien est scandalisé : « Si cet homme est un prophète, il devrait savoir qui le touche.»(v.39).
Jésus répond par une parabole concernant un créancier. Celui-ci remet les dettes à deux débiteurs : un lui devait 50 deniers, le deuxième 500 deniers. Lequel des deux l’aimera le plus ?
Réponse du pharisien : celui auquel il a remis le plus. « Bien répondu ». Jésus à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi. Tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds. Elle au contraire m’a arrosé les pieds de ses larmes. Tu ne m’as pas donné de baiser. Elle, au contraire, depuis que je suis entré, n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête. Elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. C’est pourquoi je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour ».
Elle n’est pas pardonnée parce qu’elle a fait pénitence, mais « parce qu’elle à beaucoup aimé ». Cette femme n’est pas Marie Madeleine. Elle est renvoyée avec le souhait : « Va en paix » [29]. Rien n’affirme qu’elle a encore besoin de faire pénitence.
2° Deuxième récit (ou groupe de récits) : L’onction de Béthanie, en trois versions : Mt 26,6-13 ; Mc 14,3-9 ; Jean 12,1-8
Comme en Luc 7, ces récits concernent une onction : une femme entre dans une maison où se trouve Jésus, elle répand du parfum sur lui, Jésus prend la parole pour défendre la femme et donner un sens positif à son geste.
À la différence de Luc, ces trois récits ne sont pas situés en Galilée, mais près de Jérusalem, à Béthanie. Ceci en trois versions différentes.
Marc et Matthieu situent l’événement dans la maison de Simon le lépreux. La femme n’est pas nommée. Jean le situe dans la maison de Marthe, Marie et Lazare. C’est Marie soeur de Marthe et de Lazare qui fait l’onction.
En Mt et Mc, l’onction se fait sur la tête. En Jn, elle se fait sur les pieds.
Les trois récits signalent l’objection est que cet argent aurait pu être donné aux pauvres (en Jean elle est faite par Judas).
La réponse de Jésus est la même pour les trois : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous... mais moi vous ne m’aurez pas toujours. Attention exégèse dangereuse qui pourrait justifier l’existence pauvres !... Marc a entrevu la difficulté en ajoutant : « Quand vous voudrez vous pourrez faire du bien aux pauvres... » (Mc 14,7).
Ces trois textes se situent juste avant la récit de la passion et l’exécution de Jésus. Mt et Mc précisent que ce parfum répandu sur le corps de Jésus est en vue de son ensevelisement.
Alors, y aurait-il trois Marie Madeleine ? La question surgit. Elle aura la peau dure. Aujourd’hui la plupart des exégètes considèrent que les trois femmes : Marie de Magdala, Marie soeur de Lazare (à Béthanie) et la pécheresse anonyme d’une ville anonyme sont à distinguer.
b) Les traditions des Pères de l’Église (auteurs chrétiens des premiers siècles)
La question qui sépare la tradition orientale de la tradition occidentale est la suivante : Marie de Magdala, Marie de Béthanie et la pécheresse anonyme sont elles trois ou un seul et même personnage ?
1° Pour les orientaux (dans l’ensemble) il s’agit de trois personnages différents
S’il y a trois personnages : Marie Madeleine n’est ni la pécheresse sans nom, ni la soeur de Lazare. Elle est ce personnage que nous avons évoqué dans l’analyse historique et dans le regard sur le Nouveau Testament. accompagnant Jésus comme disciple, présente au calvaire et premier témoin de la Résurrection. Une image positive d’une femme devenue «Apôtre des apôtres ».
2° Pour les occidentaux, il y eut des hésitations. Puis vint Grégoire le Grand, ancien préfet de Rome, un grand pape
(pape de 590-604). Nous lui devons le chant grégorien... pas le calendrier grégorien (de Grégoire XIII ,1572-1585).
Concernant Marie de Magdala il fait un coup de force qui hypothèquera l’avenir : Il s’agit de son homélie du vendredi de Pâques le 20 avril 591. Il y affirme clairement que :
1) la pécheresse anonyme qui s’est approchée de Jésus pleurant sur ses pieds,
2) Marie de Béthanie soeur de Marthe et de Lazare et
3) Marie de Magdala premier témoin de la résurrection étaient une seule et même personne : « Cette femme que Luc appelle pécheresse, que Jean appelle Marie nous croyons que c’est la même dont Marc dit qu’elle fut délivrée des sept démons. »
Grégoire le Grand confirmait, pour ainsi dire officiellement, le fait que Marie Madeleine était la pécheresse... Il renforçait le courant déjà bien implanté en Occident, qui va faire fortune (à tous les sens du mot) à travers la chrétienté et qui présente Marie Madeleine avant tout comme pécheresse repentante (ce qui est faux). Du fait même il renforce le blackout sur Marie Madeleine Apôtre des apôtres (ce qui selon les Évangiles est vrai).
On peut pardonner à Grégoire le Grand. Il a vécu à une époque où les papes ne s’étaient pas encore fait déclarer infaillibles.
c) L’évolution en Occident va s’écarter de plus en plus de la Marie de Magdala historique.
Cette image faussée de Marie de Magdala, identifiée (parfois exclusivement) à une pécheresse repentante va imprégner une grande partie de la chrétienté. Elle va non seulement ternir l’image de Marie Madeleine mais aussi celle de la femme déjà déconsidérée dans la société et dans l’Église. En voici quelques aspects :
1° L’accentuation de l’image souvent prioritaire, parfois exclusive, d’une Marie Madeleine pécheresse et repentante
a) Cette accentuation apparaît clairement dans l’art occidental.
En juin 2002, le Monde de la Bible, une revue sérieuse, a publié un fascicule : Visages de Marie Madeleine. L’iconographie qui reprend des peintures et sculptures célèbres à travers les siècles est éloquente : Marie Madeleine y est présentée 20 fois comme pécheresse repentante et pénitente. Nous la voyons quatre fois au pied de la croix et deux fois le matin de Pâques portant les aromates et rencontrant Jésus qui lui dit : « Ne me touche pas ! » À quoi il faut ajouter des représentations diverses dont quatre ascensions ou extases. Jamais Marie Madeleine n’est représenté comme messagère de la Résurrection ! Aucune image n’évoque Marie enseignant aux apôtres !
Il en existe pourtant l’une ou l’autre, notamment dans un psautier
Que l’on s’entende bien. Il existe des oeuvres d’art extraordinaires sur Marie Madeleine. Notre réflexion n’enlève rien aux qualités artistiques de ces oeuvres que l’on peut admirer tout en étant conscient de la réalité historique que l’artiste ignorait...
b) Cette accentuation apparaît aussi dans les légendes et les pèlerinages qu’elles suscitent notamment en France, à la sainte Baume, puis à Vézelay (Bourgogne) (9ème au 13ème s) [30] puis de nouveau à la sainte Baume et Saint Maximin en Provence.
Si les Évangiles étaient sobres vis à vis de l’histoire de Marie Madeleine l’imagination des générations chrétiennes a comblé ce vide. Ainsi, une tradition du Moyen Âge, reprise par la Légende dorée raconte qu’au premier siècle, Marie Madeleine a abordé près de Marseille sur la plage désormais connue comme « aux Saintes Maries de la Mer », avec Maximin, Lazare, Marthe et d’autres... dont Cédonius l’aveugle-né guéri par Jésus. Marie Madeleine aurait ensuite évangélisé Aix et se serait retirée à la Sainte Baume pour vivre les trente dernières années de sa vie, évidemment « en pénitente » puisque elle est devenue une pécheresse posthume. Ce lieu de pèlerinage accueille encore chaque année environ 450 000 pèlerins
c) Cette accentuation de Marie Madeleine pécheresse repentante s’est renforcée du côté catholique aux 16ème et 17ème siècles. Comme un enjeu entre protestants et catholiques. Pour les protestants elle symbolise la grâce de celle qui est choisie. Pour les catholiques qui entendent défendre la confession elle est avant tout un modèle de pénitence.... et deviendra l’héroïne de la Contre-Réforme. La vraie Marie Madeleine est morte ! On invente une nouvelle scène : la pénitence de Marie Madeleine, pleurant sur ces péchés. Voir le célèbre tableau de Georges de la Tour : La Madeleine à la veilleuse (et à la tête de mort), au Louvre.
d) Cette Madeleine pénitente réfugiée au désert contemplant un crâne va être transformée en grande mystique avec extases, pâmoisons et ascension. Voilà un registre intarissable, mais bien loin de la Madeleine de Galilée et du matin de Pâques. Allez au Musée de l’oeuvre Notre Dame à Strasbourg : vous y trouverez treize statuettes dorées représentant les douze apôtres et Marie Madeleine au milieux d’eux. Que fait-elle ? Leur annonce-t-elle le ressuscité ? Aucunement. Revêtue jusqu’aux pieds de ses longs cheveux elle commence à monter au ciel portés par quatre angelots. Cette oeuvre d’art strasbourgeoise date de 1420.
e) La Bible paysanne exprime une manière populaire de comprendre Marie Madeleine : « Marie Madeleine était une drôlesse. Oui, mais elle regretta ses péchés. Car elle s’acoquinait avec des démons, et elle buvait et elle ripaillait, et elle s’amusait avec eux. Mais elle ne savait pas qu’ils étaient des démons. Et puis un jour elle a compris et elle a regretté. Alors elle a essuyé les pieds de Jésus avec ses cheveux. Elle les a frictionnés avec une huile très chère. Elle a pleuré pour tous ses péchés, alors Jésus lui a pardonné. » [31]
2° La transformation d’une personne en chair et en os en un symbole parfois composite
Ce symbole est loin de la réalité historique. Il peut même la contredire lorsqu’il fait des trois femmes une trinité appelée Madeleine. On pourrait évidemment arguer en disant que même les auteurs bibliques procèdent parfois ainsi. Ainsi Saint Paul pour prouver une thèse... fait d’Agar l’ancêtre des Juifs, alors que d’après la Genèse c’est Sara qui est présentée ainsi. Paul, en revanche, va faire de Sara, la mère des chrétiens. (Galates 4,21-31). L’auteur de la 2ème lettre de Pierre ne procède pas autrement. Il présente Sara l’épouse d’Abraham comme un modèle d’obéissance (1 P 3,5) alors qu’elle avait mené Abraham par le bout du nez : « Fais-moi en enfant par ma servante Agar ! » (cf Gn 16,2). Puis quand
l’enfant devient gênant, puisque Sara a enfanté Isaac, celle- ci ordonne à Abraham : « Chasse cette servante et son fils. Il ne faut pas que le fils de cette servante hérite avec mon fils Isaac. » Abraham s’exécute à contrecoeur... (Gn 21,8-14). Cette démarche de réduire des personnes qui ont existé à des symboles utilitaires en négligeant et même en faussant le vécu des gens, ceci souvent pour fonder un enseignement ou prouver une thèse, n’est plus acceptable aujourd’hui.
3° Une relativisation de la mission essentielle et révolutionnaire reçue par Marie Madeleine
L’erreur de Grégoire le Grand a fait école. À travers les siècles de nombreux textes et de nombreuses oeuvres d’art ont identifié Marie de Magdala avec la pécheresse publique qui est venue embrasser les pieds de Jésus. L’accent fut de plus en plus mis sur cette interprétation faussée de l’Évangile. Ceci au détriment de la vraie Marie Madeleine et de sa mission d’Apôtre des apôtres.
4° Il faut cependant signaler que la veine positive ne s’est jamais complètement tarie en Occident : par exemple dans le Sermon d’Odon de Cluny (né en 878/879) [32] ou dans la séquence du jour de Pâques chantée encore aujourd’hui avant le grand Alleluia et la proclamation de l’Évangile :
« Dis-nous Marie, qu’as tu vu en chemin ?
J’ai vu le sépulcre du Christ vivant. J’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ mon espérance est ressuscité. Il vous précédera en Galilée. »
Ainsi la liturgie officielle a donné et donne encore la Parole à Marie Madeleine pour annoncer la Résurrection ! Mais on la refuse aux femmes d’aujourd’hui...
J’aimerais savoir combien de prédicateurs, de théologiens, de canonistes, d’évêques et de papes ont été inspirés par ce texte pour donner à Marie de Magdala sa vraie place dans la tradition et à toutes les femmes leur vraie place dans l’Église catholique ?
5° Deux conséquences fâcheuses de l’évolution négative de l’image de Marie Madeleine souvent privée de la référence à sa mission.
a) Concernant la dignité des femmes. L’image de pécheresse évoque l’image d’Ève regardée - par beaucoup - comme étant à l’origine du péché : le Siracide 25,24 : « À partir de la femme a commencé le péché, c’est à cause d’elle que tous nous mourrons » . L’image de Marie Madeleine pécheresse accentue le regard souvent négatif sur les femmes dans la société et l’Église et joue ainsi un rôle néfaste de consolidation
1. d’une image négative de la femme,
2. du rôle doctrinal réservé aux hommes,
3. d’une spiritualité de culpabilité
b) Concernant le réalisme de l’Incarnation. Le fait de dissoudre la personne en chair et en os, qui a vécu sur notre terre, en différentes images ou symboles dilue et occulte le réalisme de l’incarnation : C’est la Parole qui s’est faite chair et non la chair qui s’est fait parole (Cf Jn 1,14). Or c’est ce deuxième aspect (la chair devient parole, exclusivement) qui tente tout lecteur de la Bible. Alors Marie Madeleine et aussi Jésus de Nazareth perdent tout leur réalisme....
Si je méconnais le Jésus de l’histoire... qu’en est-il de ma foi en l’incarnation ?
Si le jugement dernier existe, quelle Marie Madeleine découvrirons-nous ?
Une image fabriquée, trinitaire, création de l’esprit humain, ou Marie de Béthanie, Marie aux longs cheveux et Marie de Magdala ?
Suite à ces confusions, Marie Madeleine, regardée par tous les Évangiles comme le premier témoin de la résurrection a traversé plus de quinze siècles en pécheresse repentante avec des cheveux longs, se frappant la poitrine, pleurant ses péchés, méditant devant un crâne... Tout cela a marqué les esprits, des chrétiens et des responsables d’Églises.
3. S’il en avait été autrement...
Qu’en aurait-il été si la vraie image de Marie Madeleine avait été présentée autrement : une femme disciple de Jésus, fidèle jusqu’à la croix et évangélisant les apôtres ? Non pas une fois, mais jour après jour, ceci pendant les 376 000 jours environ qui nous séparent du sermon de Grégoire le grand. Ceci non seulement en Orient mais en Occident. Le regard sur la place des femmes dans le monde et dans l’Église n’aurait-il pas été différent? Par exemple :
Au 13ème siècle, le pape Honorius III (1216-1227) n’aurait peut être pas demandé aux évêques de Burgos et de Valence (Espagne) d’interdire aux abbesses de parler du haut de la chaire, cela étant réservé aux hommes. Il a expliqué ainsi la raison de son refus : « Car les lèvres des femmes) portent les stigmates d’Ève, qui par ses paroles a scellé le sort de l’homme ».
S’il avait lu autrement l’histoire de Marie Madeleine, non pas comme une pécheresse mais comme messagère de la joie pascale aux apôtres il aurait peut- être écrit aux évêques de Burgos et de Valence : « Félicitez ces Abbesses car, comme Marie Madeleine, le matin de Pâques, elles ont des messages inédits à annoncer aux hommes, surtout aux responsables d’Églises, qui ont parfois de la peine à les comprendre »
Les responsables du Calendrier liturgique auraient ajouté à la fête de Marie Madeleine, la vraie le 22 juillet, deux autres fêtes à d’autres dates : celle de Marie soeur de Lazare et celle de Marie aux longs cheveux.
Au siècle dernier, quand existait encore à Strasbourg l’Institut du Bon Pasteur (pour les filles en difficultés avec leur famille, la justice, les « filles mères »...) on n’aurait pas appelé ces filles « les Madeleines », un terme péjoratif pour elles et pour Marie de Magdala.
Les auteurs du Robert, Dictionnaire Historique de la Langue française (1992) auraient peut être formulé autrement leur définition qui prend comme monnaie courante que Marie de Magdala « est une pécheresse repentante de l’Évangile ». Ils auraient pu dire : Marie de Magdala « qui passe pour être une pécheresse... »
Au lieu de dire l’expression « pleurer comme une Madeleine », on aurait pu dire plus justement « pleurer comme saint Pierre qui a pleuré amèrement après avoir renié Jésus ? (Mt 26,73).
S’il en avait été autrement, Jean Paul II n’aurait peut être pas affirmé avec autant d’aplomb en 1994 (lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis) que l’ordination est exclusivement réservée aux hommes et que la question est définitivement close (alors que sous Paul, VI la Commission biblique avait ouvert la porte disant que dans la Bible la question reste ouverte.)
Au moins une année sur deux la prédication du jour de Pâques aurait été centrée sur le message des femmes aux disciples : « Dis-nous donc Marie... » et les conséquences qu’il faut en tirer.
Il y a quelques mois Mgr Vingt-trois, aurait retourné sa langue sept fois dans la bouche avant d’affirmer que « Le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans sa tête ». Il aurait pu dire : « Le tout ce n’est ni d’avoir une jupe, ni d’avoir une soutane, mais d’avoir quelque chose dans sa tête, et même sous sa mitre. » .
Et que dire de cet évêque anglican qui il y a une vingtaine d’années a lancé cette boutade : « des femmes prêtres ? pourquoi pas des singes ? »
Sainte Marie Madeleine priez pour eux... pour nous aussi...
Pas de conclusion mais un double appel :
1. Réhabiliter Marie Madeleine et avec elle Ève (dia- bolisée) et Marie (théologisée, dogmatisée, déshu- manisée, parfois divinisée) ainsi que toutes les femmes de la Bible et de l’Humanité (quelque 40 milliards jusqu’à ce jour) .
2. Faire une lecture réaliste de la Bible...
Une lecture qui prend en compte trois données concrètes
a) l’enracinement du texte dans son époque.
b) La réalité du texte.
c) Et le monde dans lequel nous relisons ce texte. Vous me direz peut être : « Mais alors où est l’Esprit Saint ? »
Il est dans ces trois réalités. Sinon il n’est nulle part.
[22] CE 138 o.c. p. 51-65
[23] L’Évangile selon Pierre, L’Épître des apôtres, Le livre de la résurrection de Barthélémy, la Correspondance de Pilate.
[24] Jean-Yves Leloup. L’Évangile de Marie. Myriam de Magdala. Albin Michel 2000.
Cet Évangile dft découvert à Nag-Hammadi (en haute Égypte) en 1945. Il a été écrit en copte au début du 5ème siècle. L’écriture originale en grec remonterait plus ou moins à 150.
[25] Jean-Yves Leloup. L’Évangile de Philippe. Albin Michel. 2003. Découvert en même temps et au même lieu que l’Évangile de Marie. Écrit en copte. Traduction d’un original grec du 2ème siècle
[26] En : 1892 : Rodin dans une de ses études sculpte un Christ en croix enlacé par une MM dévêtue...Au Musée Rodin à Paris. (CE.138 o.c. p.119). Les documents de Nag-Hammadi étaient encore sous les sables.
[27] « gunè ètis èn en tè polei hamartôlos »
[28] brechein : traduit aussi par baigner, arroser, irriguer
[29] Certains partisans de l’identification avec Marie Madeleine arguent du fait que le texte de Luc parlant de l’entourage féminin de Jésus (8,1-3) fait suite à cet épisode.
[30] Au 11ème siècle : le conte Girard de Roussillon (fondateur de l’abbaye de Vézelay) et l’abbé, vont se procurer le (soit disant) corps Marie Madeleine en Provence.
[31] CE 138 o.c. sup. p.128.
[32] « De même que, par la bienheureuse toujours Vierge Marie, l’espoir du monde est incomparable, les portes du paradis nous sont ouvertes et la malédiction d’Ève est rejetée.
Ainsi par la bienheureuse Marie-Madeleine, l’opprobre du sexe féminin est rejeté et la splendeur de notre résurrection dans la résurrection du Seigneur est née, offerte par elle.
D’où Marie est dite avec raison « étoile de la mer ». Certes l’interprétation de ce titre convient spécialement à la Mère de Dieu qui a enfanté virginalement le Soleil de Justice, resplendissant dans le monde.
Cependant l’appellation peut convenir à la bienheureuse Madeleine qui vint au sépulcre du Seigneur avec les aromates et annonça la première la splendeur de la résurrection du Seigneur au monde.
Et si les disciples sont appelés pour cela apôtres, parce qu’il sont envoyés par lui même pour annoncer l’Évangile à toute créature, la bienheureuse Marie de Magdala n’en est pas moins envoyée aux apôtres pour écarter le doute et l’incrédulité de sa résurrection dans les coeurs. » (C.E. p.82)
[33] Voir dans Découvrir... oc p. 127. Un « verset satanique ».