Publié le 2 Août 2011

Interview de Guy Aurenche

accordée à la revue Les Réseaux des Parvis, à paraître dans n° 51 (1)

Humaniser le monde avec et par delà la religion

 

 

Face aux drames que connaît le monde actuel, le CCFD-Terre Solidaire déploie une créativité peu commune par ailleurs dans le catholicisme romain. D’où lui vient-elle ?

 

Le CCFD-Terre Solidaire s’est développé en tension permanente entre la société et l’évangile, porté par un triple mouvement. La première dynamique qui nous anime est celle du monde dans lequel nous vivons. Elle est à l’origine de notre organisme et en a commandé l’évolution. C’est en cheminant avec la communauté humaine au fil des événements, en partageant ses joies et ses soucis, que nous avons lié alliance avec elle, et c’est de là que provient notre crédibilité. Il me semble éclairant à cet égard de souligner que le CCFD est né d’un appel au secours de la société civile, d’une initiative laïque et non pas religieuse. Lorsque la FAO a lancé une collecte mondiale contre la faim en 1960-1961, Jean XXIII, le pape de « l’option préférentielle pour les pauvres », a réalisé que l’Église devait se mobiliser d’urgence pour répondre à cet appel, et qu’elle devait pour cela se joindre aux politiques publiques visant à secourir les plus démunis. Notre appartenance confessionnelle doit être vécue librement à la lumière des réponses que nous apportons aux besoins des hommes et aux exigences évangéliques.

En deuxième lieu, je dirai que notre action se veut radicalement « catholique » au sens étymologique de ce terme, c’est-à-dire universelle, à l’opposé des revendications et des replis identitaires qu’affectionnent certains milieux d’Église. Il faut bien réaliser que nous ne sommes pas catholiques lorsque nous restons dans nos sacristies, lorsque nous ne nous intéressons qu’aux problèmes répertoriés comme prioritaires par l’institution ecclésiastique. Se vouloir catholique oblige au contraire à rejoindre le monde, à se frotter aux grands problèmes contemporains, à prendre le risque d’établir des partenariats aux marges de l’ordre établi, à œuvrer avec les hommes, les femmes et les groupes engagés dans les mêmes combats que nous au service de l’humanité, et ce quelle que soit leur appartenance religieuse, ou leur refus des religions. Je suis profondément heureux que le CCFD puisse ainsi témoigner de la catholicité de la foi chrétienne.

Troisième dynamique essentielle pour nous, celle du partenariat. Les engagements comme les nôtres ne peuvent se vivre que dans l’ouverture aux autres et le partage, dans une solidarité sans cesse à approfondir et des réseaux à étendre. Cela s’impose au sein de l’Église comme avec nos partenaires du Nord et du Sud. Dès sa naissance et jusqu’à présent, le CCFD a constamment cherché à promouvoir la collaboration avec les mouvements partageant l’essentiel de ses convictions, veillant à toujours privilégier la collégialité du pouvoir décisionnel. Abhorrant les enfermements, nous voulons créer des lieux de rencontre, de dialogue et de liberté où il fait bon respirer et vivre l’évangile ou, à défaut de références religieuses, un humanisme ouvert et militant. Nous travaillons sans exclusive avec des mouvements très divers, allant de l’Action catholique ou d’associations protestantes à nombre d’ONG se rattachant à d’autres religions ou dépourvues de toute attache religieuse, comme ATTAC par exemple.

Que beaucoup de nos partenaires du Sud ne soient pas catholiques ne diminue en rien la portée de notre action, bien au contraire. La pluralité culturelle et religieuse de nos relations témoigne de la catholicité de l’évangile et de la nôtre, de l’universalité à laquelle appelle notre foi. Aussi simple qu’exigeant, l’unique critère qui fonde la collaboration avec nos partenaires est le sérieux des programmes à entreprendre en commun au service des hommes, leur inscription dans un processus de transformation sociale du monde par delà les actions de charité ponctuelles. C’est, en d’autres termes, la validité éthique et politique de leurs projets. Un tel partenariat n’est évidemment possible que dans un respect réciproque de ceux qui font alliance, moyennant une franche et ferme volonté de lever de part et d’autre les ambiguïtés qui peuvent exister ou survenir. Cela exige une grande rigueur, une fidélité sans faille à soi et aux autres en même temps qu’une réelle capacité de se remettre en question. Tout le reste se négocie.

 

Comment conciliez-vous la vocation évangélique à servir les hommes sans considération de religion avec les stratégies parfois très institutionnelles des structures ecclésiastiques ?

 

Comment conciliez-vous la vocation évangélique à servir les hommes sans considération de religion avec les stratégies parfois très institutionnelles des structures ecclésiastiques ?

Avant de répondre à cette question, je rappellerai l’immense reconnaissance que j’éprouve personnellement envers l’Église, envers cette communauté d’hommes et de femmes qui m’a transmis les paroles d’un certain Jésus de Nazareth et qui se sent chargée de continuer à les transmettre. Je crois que ces paroles sont porteuses de la vie dans sa plénitude, et c’est pourquoi elles fondent de manière indéfectible mon attachement à la communauté ecclésiale. Mais il va de soi que cette fidélité n’implique pas une soumission sans réserve à l’appareil institutionnel des autorités ecclésiastiques. Pour moi, l’Église transcende les structures particulières qu’elle emprunte à travers l’histoire, utiles mais forcément marquées par les vicissitudes humaines. La vraie fidélité ne s’épanouit que dans les lieux de liberté où chacun est appelé à se libérer et à libérer autrui. Tout ce qui va à l’encontre de cela est antiévangélique et finit par étouffer la foi.

Pour ce qui est du CCFD-Terre Solidaire, sa mission n’est pas d’authentifier le témoignage ou de valider le comportement des responsables de l’Église au regard de la foi chrétienne. Notre mission n’est pas de juger les institutions, ni de chercher à leur imposer des réformes correspondant à ce que nous voulons qu’elles soient. Elle est de témoigner de la Bonne Nouvelle directement à travers nos actions sur le terrain, à notre niveau et en dépit de tout, sans nous aigrir et sans nous laisser enfermer dans d’interminables contestations, sans nous épuiser dans d’inutiles affrontements. Notre mission se situe de ce point de vue hors les murs d’une certaine façon. Certes je constate comme tout le monde des insuffisances, des compromissions, des abus de pouvoir, et parfois de terribles contre-témoignages, et je souffre de voir trop souvent l’évangile séquestré et parfois gravement dénaturé. Mais la dénonciation étant vaine et seule la créativité se révélant féconde, l’unique question qui nous taraude est celle-ci : comment pouvons-nous vivre concrètement l’évangile et le partager ? C’est là que nous sommes attendus.

Se rendre audible aujourd’hui oblige à s’immerger dans notre monde et, comme Jésus avec la Samaritaine au puits de Jacob, à en attendre quelque chose : « Donne-moi à boire ! » Respect de la dignité et de la liberté des autres, aux antipodes de l’endoctrinement. Écoute et dialogue pour progresser ensemble. Bien que galvaudé, le terme d’évangélisation ne me gêne pas si c’est bien d’évangile qu’il s’agit. Ce qui compte d’abord, c’est la rencontre et le partage avec le frère en souffrance, et non pas la proclamation fréquemment intempestive du nom de Jésus ou des attributs de Dieu. Une évangélisation que certains qualifieront d’indirecte, mais qui est en fait la plus directe qui soit. Ce ne sont pas les discours qui disent l’évangile et qui en propagent la puissance de vie, c’est le secours humain et matériel apporté à autrui, et notamment aux plus démunis. Que cela ne coïncide pas avec certaines dérives sacralisantes de la religion ne nous chagrine pas au CCFD-Terre Solidaire : Jésus ayant en son temps refusé toute sacralisation de sa personne, les béatifications et les canonisations ne sont pas notre tasse de thé...

Somme toute, cela fait cinquante ans que le CCFD s’efforce de vivre et d’annoncer l’évangile selon ces perspectives, et plutôt rares sont ceux qui contestent la valeur et la portée de son témoignage évangélique sur le terrain. N’est-ce pas un formidable encouragement ? Aucune entreprise humaine n’étant à l’abri des difficultés, il serait évidemment faux de dire qu’il n’y a jamais eu de tensions entre notre organisme et les instances institutionnelles de l’Église. Il y en a eu et il y en aura encore... Mais il me semble infiniment plus important d’insister sur le fait que les responsables de l’Église ont, dans leur ensemble, toujours continué à approuver notre démarche prophétique et à nous soutenir, et les échanges que j’ai régulièrement avec la plupart des évêques de France me permettent d’avoir confiance en l’avenir. Pour surmonter les désaccords, il faut négocier des issues qui sauvegardent l’essentiel tout en tenant compte des contraintes pratiques, le dernier mot devant toujours revenir à l’évangile quel que soit le coût de cette exigence.

 

Pouvez-vous esquisser les contours de l’alterchristianisme inédit qui est peut-être en voie d’émerger sur le terrain à travers, entre autres, l’action du CCFD-Terre Solidaire  ?

 

Notre boulot n’est pas d’enseigner le catéchisme, mais de susciter des rencontres qui rendent les hommes plus humains, de repérer et de créer des espaces de liberté où se construit la solidarité sous l’égide de la justice et de la paix. En de tels lieux se dévoile, qu’ils aient ou non un label religieux, un au delà de nous-mêmes et de nos collectivités, une transcendance qui dit une Parole nous appelant à devenir ce que nous sommes, et qui peut de ce fait être entendue bien qu’elle vienne d’ailleurs. L’humanisation de l’homme, notre unique voie vers le divin, voilà la seule grande affaire qui nous intéresse. « Au cœur de nos hivers, écrivait Albert Camus, je redécouvrais à Tipasa la présence en moi d’un été invincible ! » L’évangélisation consiste d’abord à aider les autres à redécouvrir en eux et autour d’eux, au cœur de leurs hivers, le prodigieux et permanent miracle de cet « été invincible » qui est la matrice de toute vie. Nous ne savons pas qui est Dieu, mais nous pouvons le trouver et le secourir dans notre prochain. Nous ne sommes pas responsables de tous les maux qui écrasent l’humanité, mais nous sommes responsables de la fragile et puissante espérance qui permet de les surmonter.

Pour éviter que le vin nouveau fasse éclater les vieilles outres, il faut identifier et assumer les changements qui bouleversent l’ordre ancien du monde et de l’Église. L’un des changements les plus décisifs au regard de la religion est la sécularisation, mais celle-ci est souvent mal supportée par le clergé parce qu’elle le dépouille d’une large part de ses prérogatives et de ses pouvoirs. Il s’ensuit, quand l’Église se replie frileusement sur elle-même dans son périmètre sacralisé, qu’elle se coupe des hommes et perd sa crédibilité, qu’elle se condamne à ne répondre qu’à des questions que la société ne se pose plus. Vain soliloque... La position du CCFD-Terre Solidaire s’inscrit résolument, là encore, dans le cours de l’histoire humaine interprétée à la lumière de l’évangile. Loin d’être un handicap, la sécularisation représente à ses yeux, dans la société laïque et pluraliste qui est la nôtre, une chance pour l’évangélisation. Ce n’est que dans la société moderne ou postmoderne telle qu’elle est, avec ses attentes et ses détresses, que le Bonne Nouvelle peut être entendue comme un message de libération, de fraternité et de transcendance.

Annoncer l’évangile aux statues qui peuplent nos églises n’est pas seulement inutile, mais c’est détourner et pervertir la Bonne Nouvelle destinée au monde du dehors. Dans le sillage du prophète Isaïe, Jésus a insisté sur la désacralisation inhérente à son message de libération, se déclarant foncièrement opposé aux sacrifices et aux rituels, et donnant la priorité aux œuvres de justice et d’amour. Mais, rétorqueront certains, l’homme a un besoin congénital de sacré : bien des fidèles âgés ont la nostalgie des cérémonies religieuses de leur enfance et une certaine jeunesse s’enthousiasme pour ce qu’on appelle le retour du religieux. Pour exact que soit ce constat au premier abord, c’est une autre carence qu’il révèle surtout, à savoir l’incapacité de nos communautés à répondre aux attentes du monde contemporain à hauteur d’évangile. Vouloir à tout prix restaurer la religion face aux valeurs du monde n’est pas sans rappeler, triste parallèle, l’appui apporté aux dictatures pour sauvegarder l’ordre social et politique sous couvert de lutte contre l’islamisme...

 

Alors que la génération montante se détourne massivement des structures religieuses, comment expliquer sa disposition à s’engager au CCFD-Terre Solidaire ?

 


Alors que la génération montante se détourne massivement des structures religieuses, comment expliquer sa disposition à s’engager au CCFD-Terre Solidaire ?

Si les institutions ecclésiales sont assez couramment perçues comme rébarbatives par la jeunesse, c’est pour un ensemble de raisons complexes. Globalement, les jeunes ont tendance à considérer ces institutions comme éloignées d’eux et de leur univers, enfermées dans une sphère de rites et de doctrines plus ou moins chosifiées dépourvus d’intérêt à leurs yeux. Leur attrait pour le CCFD s’explique par des raisons qui, à l’inverse, valorisent la vie et l’engagement libre et responsable. En premier lieu, nos programmes prennent en compte leur besoin de contribuer à instaurer une plus grande solidarité entre les hommes. Un besoin sincère et très fort qui est souvent minimisé à tort par une société si contaminée par le matérialisme consumériste qu’elle en vient à douter de la générosité de sa jeunesse. La deuxième raison réside dans le fait que le CCFD offre aux jeunes la possibilité de devenir acteurs de la transformation des structures sociales. Au lieu d’enseigner et d’encadrer, le CCFD-Terre Solidaire pratique une pédagogie active en proposant aux jeunes de participer à l’humanisation de la société.

Loin de céder au sentiment d’impuissance et de fatalité que les dominants entretiennent à leur profit, le CCFD croit qu’un autre monde est possible, tâche d’acquérir les compétences nécessaires pour travailler à son avènement, recherche les partenaires disposés à lutter avec lui, et s’engage dans les combats en prenant les risques que cela comporte. Lorsque nous stigmatisons l’iniquité du capitalisme financiarisé qui écrase les faibles et détruit la planète, lorsque nous militons pour une économie sociale et solidaire, pour la souveraineté alimentaire et l’accès à l’eau, pour la taxation des transactions financières internationales et la remise de la dette des pays les plus pauvres, contre les paradis fiscaux qui recyclent l’argent volé et l’argent sale, lorsque nous contribuons à la prévention et à la résolution des conflits en dénonçant les trafics d’armes et en venant en aide aux populations déplacées, lorsque notre service du plaidoyer fait du lobbying auprès du G 8 ou du G 20, nous croyons à la pertinence de nos visées et à l’efficacité de nos actions. Si les jeunes ne se mobilisent plus guère pour la religion, beaucoup d’entre eux sont par contre prêts à se mobiliser pour la cause des hommes.

À une de ses parentes qui se plaignait de l’Église dans les années 30, Teilhard de Chardin a répondu à peu près ceci : « Ma chère cousine, je peux effectivement être d’accord avec vous : actuellement, la saison est un peu lourde ! » Cette concession faite en connaissance de cause par un passionné des hommes et de Dieu m’autorise à dire que la saison est un peu lourde depuis quelque temps déjà, et qu’elle est peut-être toujours un peu lourde dans l’Église comme dans le monde... Mais ce n’est pas cela qui importe le plus. Seule compte l’espérance que nous sommes capables de susciter et de transmettre à ceux qui prendront la relève, seule compte l’espérance que nous mettons en œuvre avec eux malgré les obstacles et les déceptions. Dans son livre intitulé Incipit, Maurice Bellet dit : « Ce qui est premier, ce n’est pas la tristesse, c’est l’amour. » La vie continue, un autre monde est possible, l’aventure de l’évangile se poursuit et engendre sur le terrain un christianisme inédit tout en restant fidèle à la Parole reçue au début et au sillon tracé depuis.

 

Propos recueillis par Jean-Marie Kohler
www.recherche-plurielle.net


Note
 (1) Ce numéro comprendra un dossier entièrement consacré au CCFT-Terre Sodidaire.
Pour découvrir la Fédération Réseaux du Parvis, visitez le site : http://www.reseaux-parvis.fr
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Rédigé par jonasalsace

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Publié le 23 Juillet 2011

 

C. MARIE MADELEINE À  TRAVERS LES SIÈCLES

1. Marie de Magdala est rapidement récupérée par le courant gnostique  [22]

Il est étonnant de voir que Marie Madeleine ne trouve qu’une place assez restreinte dans les écrits « non canoniques » (apocryphes) [23] , à l’exception du courant gnostique, dans lequel elle fait une entrée remarquable.  

Gnose signifie la connaissance. Les écrits gnostiques témoignent d’un courant mystique répandu dans le monde hellénistique et juif dans les premiers siècles de notre ère. Pour la gnose le salut se réalise par la connaissance  des mystères...  et nécessite l’initiation aux secrets.

Dans les Églises gnostiques, contrairement à la grande Église qui donnera à Pierre la première place, le rôle de Marie de Magdala est prépondérant, plus important que celui des apôtres, car elle eut le privilège de la première apparition après la résurrection...  Ces écrits ne disent pas grand chose de sa vie, mais suggèrent qu’elle doit être regardée comme la première des apôtres.
 
Deux écrits publiés récemment permettent de faire la lumière sur la manière dont au 2ème siècle des communautés chrétiennes (gnostiques) essayaient d’intégrer Marie Madeleine dans leur réflexion de foi. Ces écrits utilisent le  genre littéraire et le titre « Évangile ». Il s’agit de L’Évangile de Marie (Madeleine) et de L’Évangile de Philippe. Que disent-ils de Marie Madeleine ?

Voici ce qu’écrit l’Évangile de Marie [24]:  

« Pierre dit à Marie : ‘ Nous savons que l’Enseigneur (Jésus) t’a aimée différemment des autres femmes... Dis-nous les paroles qu’il t’a dites dont tu te souviens et dont nous n’avons pas connaissance...’ »  (nécessité d’être initié).

Dans une discussion avec Marie et André, Pierre ajoute : « Est-il possible que l’Enseigneur se soit entretenu ainsi avec une femme, sur les secrets que nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes ; écouter cette femme ?  L’a-t-il vraiment préférée à nous ?... »  (Marie Madeleine égale des Apôtres)

L’Évangile de Philippe [25]   parle également de Marie Madeleine, appelée Myriam dans la traduction qui suit. Il présente trois personnes qui marchaient toujours avec l’Enseigneur :

« Marie, sa mère, la soeur de sa mère et Myriam de Magdala qui nous est connue comme sa compagne (koïnonos) , car Myriam est pour lui une soeur, une mère et une compagne (koïnonos)... »

Cet Évangile évoque une deuxième fois Marie Madeleine : « ... La compagne (koinonos masculin) du Fils est Marie de Magdala. L’Enseigneur aimait Myriam plus que tous les disciples. Il l’embrassait souvent sur la bouche. Les disciples le voyant ainsi aimer Myriam lui dirent : ‘ Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous ?’ L’Enseigneur leur répondit :’Pourquoi ne vous aimerais-je pas autant qu’elle ?’ »

Selon le cahier Évangile (Sup N° 138)  « la lecture sexuelle du texte constitue un contresens complet. » En effet l’Évangile de Philippe appartient à la forme ascétique de la gnose.

Comme toutes les gnoses elle repose sur une série de principes identiques :
1. Un dualisme strict : le monde du bien et celui du mal, à égalité...
2.  Une narration de chute et de salut par la connaissance.
3. Une vision du monde très pessimiste.

« Du point de vu gnostique toute relation sexuelle doit être bannie : faire des enfants c’est participer au mensonge, c’est enfermer des parcelles de bien dans autant de prisons. D’après la gnose, Jésus et Marie Madeleine ne pouvaient donc pas avoir d’enfant. ». Les gnostiques ont inventé un  sacrement : « la chambre nuptiale ». Il s’agit d’un mariage spirituel qui n’est pas souillé par des relations sexuelles.  

Quel sens alors donner au fameux baiser christique ?

« Le salut gnostique passe par une réconciliation du masculin et du féminin dans un « devenir homme ». Marie Madeleine n’est pas l’ami de Jésus, mais son compagnon (masculin)  alter ego. De même qu’il y a équilibre masculin féminin dans le cosmos, un couple originel Adam et Eve (qui provoque la chute) il y a équilibre entre le couple Jésus et Marie-Madeleine qui apporte le salut  [26].

Ces textes datent du 2ème siècle. Ils sont historiques dans le sens qu’ils nous disent comment des chrétiens de ce siècle essayaient d’intégrer le souvenir de Jésus et de Marie Madeleine dans leur démarche. Deux questions semblaient les préoccuper : d’une part quels secrets Marie Madeleine aurait-elle pu connaître et d’autre part quels étaient les rapports de Jésus avec Marie Madeleine ?

Mais ces textes ne sont pas historiques pour dire ce qui s’est passé dans les années 28 à 30 du premier siècle. Leur contenu ne peut pas être transposé automatiquement tel quel un siècle auparavant. Ils  ne nous permettent aucunement de conclure que Jésus de Nazareth était marié avec Marie de Magdala.     

Ces écrits  témoignent cependant de la liberté de pensée et de parole qu’avaient pris ces chrétiens et de la place que tenait Jésus et Marie Madeleine dans leur méditation et leur recherche de la connaissance.

2. Le souvenir de Marie de Magdala est faussé dans la tradition occidentale

a) Au point de départ de la confusion figurent deux récits d’une onction faite à Jésus par une femme.   
 
1° Premier récit : l’onction de Jésus par une pécheresse anonyme et pardonnée en Lc 7,36-50

L’épisode se passe chez un pharisien Simon qui a invité Jésus à un repas. Survint une femme (non nommée) mais présentée par le narrateur comme « une pécheresse qui était dans la ville » (non nommée)[27].  

« Ayant appris que Jésus était à table chez le Pharisien, elle avait apporté un vase d’albâtre avec du parfum » (v.37) « Et s’étant  placé en arrière près des  pieds de Jésus, en pleurant, elle se mit à mouiller [28]  les pieds de ses larmes, les essuyait avec les cheveux de sa tête, les couvrait de baisers et les oignait de parfum. » (v.38).  Simon le pharisien est scandalisé : « Si cet homme est un prophète, il devrait savoir qui le touche.»(v.39).

Jésus répond par une parabole concernant un créancier. Celui-ci remet les dettes à deux débiteurs : un lui devait 50 deniers, le deuxième 500 deniers. Lequel des deux l’aimera le plus ?

Réponse du pharisien : celui auquel il a remis le plus. « Bien répondu ». Jésus à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi. Tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds. Elle au contraire m’a arrosé les pieds de ses larmes.  Tu ne m’as pas donné de baiser. Elle, au contraire, depuis que je suis entré, n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile sur ma tête. Elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes pieds. C’est pourquoi je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour ».

Elle n’est pas pardonnée parce qu’elle a fait pénitence, mais « parce qu’elle à beaucoup aimé ». Cette femme n’est pas Marie Madeleine. Elle est renvoyée avec le souhait : « Va en paix » [29].  Rien n’affirme qu’elle a encore besoin de faire pénitence.

2° Deuxième récit (ou groupe de récits) : L’onction de Béthanie, en trois  versions : Mt 26,6-13 ; Mc 14,3-9 ;  Jean 12,1-8

Comme en Luc 7, ces récits concernent une onction : une femme  entre dans une maison où se trouve Jésus, elle répand du parfum sur lui, Jésus prend la parole pour défendre la femme et donner un sens positif à son geste.

À la différence de Luc, ces trois récits ne sont pas situés en Galilée, mais près de Jérusalem, à Béthanie. Ceci en  trois versions différentes.

Marc et Matthieu situent l’événement dans la maison de Simon le lépreux. La femme n’est pas nommée. Jean le situe dans la maison de Marthe, Marie et Lazare. C’est Marie soeur de Marthe et de Lazare qui fait l’onction.  

En Mt et Mc, l’onction se fait sur  la tête. En Jn, elle se fait sur les pieds.

Les trois récits signalent l’objection est que cet argent aurait pu être donné aux pauvres (en Jean elle est faite par Judas).

La réponse de Jésus est la même pour les trois : « Vous aurez toujours des pauvres parmi vous... mais moi vous ne m’aurez pas toujours.  Attention exégèse dangereuse qui pourrait justifier l’existence pauvres !... Marc a entrevu la difficulté en ajoutant : « Quand vous voudrez vous pourrez faire du bien aux pauvres... » (Mc 14,7).

Ces trois textes se situent juste avant la récit de la passion et l’exécution de Jésus. Mt et Mc précisent que ce parfum répandu sur le corps de Jésus est en vue de son ensevelisement.

Alors, y aurait-il trois Marie Madeleine ?  La question surgit. Elle aura la peau dure. Aujourd’hui la plupart des exégètes considèrent que les trois femmes : Marie de Magdala, Marie soeur de Lazare (à Béthanie) et la pécheresse anonyme d’une ville anonyme sont à distinguer.

b) Les traditions des Pères de l’Église (auteurs chrétiens des premiers siècles)

La question qui sépare la tradition orientale de la tradition occidentale est la suivante : Marie de Magdala, Marie de Béthanie et la pécheresse anonyme sont elles trois ou un seul et même personnage ?

1° Pour les orientaux (dans l’ensemble) il s’agit de trois personnages différents

S’il y a trois personnages  : Marie Madeleine n’est ni la pécheresse sans nom, ni la soeur de Lazare. Elle est ce personnage que nous avons évoqué dans l’analyse historique et dans le regard sur le Nouveau Testament.  accompagnant Jésus comme disciple, présente au calvaire et premier témoin de la Résurrection. Une image positive  d’une femme devenue «Apôtre des apôtres ».

2° Pour les occidentaux, il y eut des hésitations. Puis vint Grégoire le  Grand,  ancien  préfet  de  Rome, un grand pape

(pape de 590-604). Nous lui devons le chant grégorien...  pas le calendrier grégorien (de Grégoire XIII ,1572-1585).

Concernant Marie de Magdala il fait un coup de force qui hypothèquera l’avenir : Il s’agit de son homélie du vendredi de Pâques le 20 avril 591. Il y  affirme clairement   que :

1)  la pécheresse anonyme qui s’est approchée de Jésus pleurant sur ses pieds,
2) Marie de Béthanie soeur de Marthe et de Lazare et
3) Marie de Magdala premier témoin de la résurrection étaient une seule et même personne : « Cette femme que Luc appelle pécheresse, que Jean appelle Marie nous croyons que c’est la même dont Marc dit qu’elle fut délivrée des sept démons. »

Grégoire le Grand confirmait, pour ainsi dire officiellement, le fait que Marie Madeleine était la pécheresse... Il renforçait le courant déjà bien implanté en Occident, qui va faire fortune (à tous les sens du mot) à travers la chrétienté et qui présente Marie Madeleine avant tout comme pécheresse repentante  (ce qui est faux). Du fait même il renforce le blackout sur Marie Madeleine Apôtre des apôtres  (ce qui selon les Évangiles est vrai).

On peut pardonner à Grégoire le Grand.  Il a vécu à une époque où les papes ne s’étaient pas encore fait déclarer infaillibles.

c) L’évolution en Occident va s’écarter de plus en plus de la Marie de Magdala historique.

Cette image faussée de Marie de Magdala, identifiée (parfois exclusivement) à une pécheresse repentante va imprégner une grande partie de la  chrétienté.  Elle va non seulement  ternir l’image de Marie Madeleine mais aussi celle de la femme déjà déconsidérée dans la société et dans l’Église. En voici quelques aspects :

1° L’accentuation de l’image souvent prioritaire, parfois exclusive, d’une Marie Madeleine pécheresse et repentante  

a) Cette accentuation apparaît clairement dans l’art occidental.

En juin 2002, le Monde de la Bible, une revue sérieuse, a publié un fascicule : Visages de Marie Madeleine. L’iconographie qui reprend des peintures et sculptures célèbres à travers les siècles est éloquente : Marie Madeleine y est présentée 20 fois comme pécheresse repentante et pénitente. Nous la voyons quatre fois au pied de la croix et deux fois le matin de Pâques portant les aromates et rencontrant Jésus qui lui dit : « Ne me touche pas ! » À quoi il faut ajouter des représentations diverses dont quatre ascensions ou extases. Jamais Marie Madeleine n’est représenté comme messagère de la Résurrection ! Aucune image n’évoque Marie enseignant aux apôtres !

Il en existe pourtant l’une ou l’autre, notamment dans un psautier

 

Que l’on s’entende bien. Il existe  des oeuvres d’art extraordinaires sur Marie Madeleine. Notre réflexion n’enlève rien aux qualités artistiques de ces oeuvres que l’on peut admirer tout en étant conscient de la réalité historique que l’artiste ignorait...

 

b) Cette accentuation apparaît aussi dans les légendes et les pèlerinages qu’elles suscitent notamment en  France, à la sainte Baume, puis à Vézelay (Bourgogne) (9ème au  13ème s)  [30] puis de nouveau à la sainte Baume et Saint Maximin en Provence.

 

Si les Évangiles étaient sobres vis à vis de l’histoire de Marie Madeleine l’imagination des générations chrétiennes a comblé ce vide. Ainsi, une tradition du Moyen Âge, reprise par la Légende dorée raconte qu’au premier siècle, Marie Madeleine a abordé près de Marseille sur la plage désormais connue comme « aux Saintes Maries de la Mer », avec Maximin, Lazare, Marthe et d’autres... dont Cédonius l’aveugle-né guéri par Jésus. Marie Madeleine aurait ensuite évangélisé  Aix  et  se serait  retirée à la Sainte  Baume pour vivre les trente dernières années de sa vie, évidemment « en pénitente » puisque elle est devenue une pécheresse posthume. Ce lieu de pèlerinage accueille encore chaque année environ  450 000 pèlerins

 

c) Cette accentuation de Marie Madeleine pécheresse repentante s’est renforcée du côté catholique aux 16ème et 17ème siècles. Comme un enjeu entre protestants et catholiques.  Pour les protestants elle symbolise la grâce de celle qui est choisie. Pour les catholiques qui entendent  défendre la confession elle est avant tout un modèle de pénitence.... et deviendra l’héroïne de la Contre-Réforme.  La vraie Marie Madeleine est morte ! On invente une nouvelle scène : la pénitence de Marie Madeleine, pleurant sur ces péchés. Voir le célèbre tableau de Georges de la Tour : La Madeleine à la veilleuse (et à la tête de mort), au Louvre.

 

d) Cette Madeleine pénitente réfugiée au désert contemplant un crâne va être transformée en grande mystique avec extases, pâmoisons et ascension. Voilà un registre intarissable, mais bien loin de la Madeleine de Galilée et du matin de Pâques.  Allez au Musée de l’oeuvre Notre Dame à Strasbourg : vous y trouverez treize statuettes dorées représentant les douze apôtres et Marie Madeleine au milieux d’eux. Que fait-elle ? Leur annonce-t-elle le ressuscité ? Aucunement. Revêtue jusqu’aux pieds  de ses longs cheveux elle commence à monter au ciel portés par quatre angelots.  Cette oeuvre d’art strasbourgeoise date de 1420.  

 

e) La Bible paysanne exprime une manière populaire de comprendre Marie Madeleine :  « Marie Madeleine était une drôlesse. Oui, mais elle regretta ses péchés. Car elle s’acoquinait avec des démons, et elle buvait et elle ripaillait, et elle s’amusait avec eux. Mais elle ne savait pas qu’ils étaient des démons. Et puis un jour elle a compris et elle a regretté. Alors elle a essuyé les pieds de Jésus avec ses cheveux. Elle les a frictionnés avec une huile très chère. Elle  a pleuré pour tous ses péchés, alors Jésus lui a pardonné. » [31] 

 


2° La transformation d’une personne en chair et en os en un symbole parfois composite

Ce symbole est  loin de la réalité historique. Il peut même la contredire lorsqu’il fait des trois femmes une trinité appelée Madeleine. On pourrait évidemment  arguer en disant que même les auteurs bibliques procèdent parfois ainsi. Ainsi Saint Paul pour prouver une  thèse... fait d’Agar l’ancêtre des Juifs, alors que d’après la Genèse c’est Sara qui est présentée ainsi. Paul, en revanche, va faire de Sara, la mère des chrétiens. (Galates 4,21-31). L’auteur de la 2ème lettre de Pierre ne procède pas autrement. Il présente Sara l’épouse d’Abraham comme un modèle d’obéissance (1 P 3,5) alors qu’elle avait mené Abraham par le bout du nez : « Fais-moi en enfant par ma servante Agar ! » (cf Gn 16,2). Puis quand
l’enfant devient gênant, puisque Sara a enfanté Isaac,  celle- ci ordonne à Abraham :  « Chasse cette servante et son fils. Il ne faut pas  que le fils de cette servante hérite avec mon fils Isaac. » Abraham s’exécute à contrecoeur... (Gn 21,8-14). Cette démarche de réduire des personnes qui ont existé à des symboles utilitaires en négligeant et même en faussant le vécu des gens, ceci souvent pour fonder un enseignement ou prouver une thèse,  n’est plus acceptable aujourd’hui.
 
3° Une relativisation de la mission essentielle et révolutionnaire reçue par Marie Madeleine
   
L’erreur de Grégoire le Grand a fait école. À travers les siècles de nombreux textes et de nombreuses oeuvres d’art ont identifié Marie de Magdala avec la pécheresse publique qui est venue embrasser les pieds de Jésus. L’accent fut de plus en plus mis sur cette interprétation faussée de l’Évangile. Ceci au détriment de la vraie Marie Madeleine et de sa mission d’Apôtre des apôtres.

4°  Il faut cependant signaler que la veine positive ne s’est  jamais complètement tarie en Occident : par exemple dans le Sermon d’Odon de Cluny (né en 878/879) [32]   ou dans la séquence du jour de Pâques chantée encore aujourd’hui  avant le grand Alleluia  et la proclamation de l’Évangile :

« Dis-nous Marie, qu’as tu vu en chemin ?
J’ai vu le sépulcre du Christ vivant. J’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ mon espérance est ressuscité. Il vous précédera en Galilée. »

Ainsi la liturgie officielle a donné et donne encore la Parole à Marie Madeleine pour annoncer la Résurrection ! Mais on la refuse aux femmes d’aujourd’hui...

J’aimerais savoir combien de prédicateurs, de théologiens, de canonistes, d’évêques et de papes ont été inspirés par ce texte pour donner à Marie de Magdala sa vraie place dans la tradition et à toutes les femmes leur vraie place dans l’Église catholique ?


5°  Deux conséquences fâcheuses de  l’évolution négative de l’image de Marie Madeleine souvent privée de la référence à sa mission.  

a) Concernant la dignité des femmes. L’image de pécheresse évoque l’image d’Ève regardée - par beaucoup - comme étant à l’origine du péché : le Siracide  25,24 : « À partir de la femme a commencé le péché, c’est à cause d’elle que tous nous mourrons » . L’image de Marie Madeleine pécheresse accentue le regard souvent négatif sur les femmes dans la société et l’Église et joue ainsi un rôle néfaste de consolidation
1. d’une image négative de la femme,
2. du rôle doctrinal réservé aux hommes,
3. d’une spiritualité de culpabilité    
                                                                                                                                                
b) Concernant le réalisme de l’Incarnation. Le fait de dissoudre la personne en chair et en os, qui a vécu sur notre terre, en différentes images ou symboles dilue et occulte le réalisme de l’incarnation : C’est la  Parole qui s’est faite chair et non la chair qui s’est fait parole (Cf Jn 1,14). Or c’est ce deuxième aspect (la chair devient parole, exclusivement) qui tente tout lecteur de la Bible. Alors Marie Madeleine et aussi Jésus de Nazareth perdent tout leur réalisme....

Si je méconnais le Jésus de l’histoire... qu’en est-il de ma foi en l’incarnation ?

Si le jugement dernier existe, quelle Marie Madeleine découvrirons-nous ?

Une image fabriquée, trinitaire, création de l’esprit humain, ou Marie de Béthanie, Marie aux longs cheveux et Marie de Magdala ?   

Suite à ces confusions,  Marie Madeleine, regardée par tous les Évangiles comme le premier témoin de la résurrection a traversé plus de quinze siècles en pécheresse repentante avec des cheveux longs, se frappant la poitrine, pleurant ses péchés, méditant devant un crâne... Tout cela a marqué les esprits, des chrétiens et des responsables d’Églises.

3. S’il en avait été autrement...

Qu’en aurait-il été si la vraie image de Marie Madeleine avait été présentée autrement : une femme disciple de Jésus, fidèle jusqu’à la croix et évangélisant les apôtres ?  Non pas une fois, mais jour après jour, ceci pendant les 376 000 jours environ qui nous séparent du sermon de Grégoire le grand. Ceci non seulement en Orient mais en Occident. Le regard sur la place des femmes dans le monde et dans l’Église n’aurait-il pas été différent?  Par exemple :
                          
Au 13ème siècle, le pape Honorius III (1216-1227) n’aurait peut être pas demandé aux évêques de Burgos et de Valence (Espagne) d’interdire aux abbesses de parler du haut de la chaire, cela étant réservé aux hommes. Il a expliqué ainsi la raison de son refus : « Car les lèvres  des femmes) portent les stigmates d’Ève, qui par ses paroles a scellé le sort de l’homme ».

S’il avait lu autrement l’histoire de Marie Madeleine, non pas comme une pécheresse mais comme messagère de la joie pascale aux apôtres il aurait peut- être écrit aux évêques de Burgos et de Valence : « Félicitez ces Abbesses car, comme Marie Madeleine, le matin de Pâques,  elles ont des messages inédits à annoncer aux hommes, surtout aux responsables d’Églises,  qui ont parfois de la peine à les comprendre »

Les responsables du Calendrier liturgique auraient ajouté à la fête de Marie Madeleine, la vraie le 22 juillet, deux autres fêtes à d’autres dates : celle de Marie soeur de Lazare et celle de Marie aux longs cheveux.  

Au siècle dernier, quand existait encore à Strasbourg l’Institut du Bon Pasteur (pour les filles en difficultés avec leur famille, la justice, les « filles mères »...) on n’aurait pas appelé ces filles « les Madeleines », un terme péjoratif pour elles et pour Marie de Magdala.

Les auteurs du Robert, Dictionnaire Historique de la Langue française (1992) auraient peut être formulé autrement leur définition qui prend comme monnaie courante que Marie de Magdala « est une pécheresse repentante de l’Évangile ». Ils auraient pu dire :  Marie de Magdala « qui passe pour être  une pécheresse... »  

Au lieu de dire l’expression « pleurer comme une Madeleine »,  on aurait pu dire plus justement « pleurer comme saint Pierre qui a pleuré amèrement après avoir renié Jésus ? (Mt 26,73).

S’il en avait été autrement,  Jean Paul II n’aurait peut être pas affirmé avec autant d’aplomb en 1994 (lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis) que l’ordination est exclusivement réservée aux hommes et que la question est définitivement close (alors que sous  Paul, VI la Commission biblique avait ouvert la porte disant que dans la Bible la question reste ouverte.)

Au moins une année sur deux la prédication du jour de Pâques aurait été  centrée sur le message des femmes aux disciples : « Dis-nous donc Marie... »  et les conséquences qu’il faut en tirer.

Il y a quelques mois Mgr Vingt-trois, aurait retourné sa langue sept fois dans la bouche avant d’affirmer que   « Le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans sa tête ». Il aurait pu dire : « Le tout ce n’est  ni d’avoir une jupe, ni d’avoir une soutane, mais d’avoir quelque chose dans sa tête, et même sous sa mitre. » .

Et que dire de cet évêque anglican qui il y a une vingtaine d’années a lancé cette boutade : « des femmes prêtres ? pourquoi pas des singes ? »

Sainte Marie Madeleine priez pour eux... pour nous aussi...

Pas de conclusion mais un double appel :

1. Réhabiliter Marie Madeleine et avec elle Ève (dia- bolisée) et Marie (théologisée, dogmatisée, déshu- manisée, parfois divinisée) ainsi que toutes les femmes de la Bible et de l’Humanité (quelque 40 milliards jusqu’à ce jour)  .

2. Faire une lecture réaliste de la Bible...

 

Une lecture qui prend en compte trois données concrètes
a)  l’enracinement du texte dans son époque.
b) La réalité du texte.  
c)  Et le monde dans lequel  nous relisons ce texte. Vous me direz peut être : «  Mais alors où est l’Esprit  Saint ? »

Il est dans ces trois réalités. Sinon il n’est  nulle part.

 

 


[22] CE 138 o.c.  p. 51-65
[23] L’Évangile selon Pierre, L’Épître des apôtres, Le livre de la résurrection de Barthélémy, la Correspondance de Pilate.
[24] Jean-Yves Leloup. L’Évangile de Marie. Myriam de Magdala. Albin Michel 2000.
Cet Évangile dft découvert à Nag-Hammadi (en haute Égypte) en 1945. Il a été écrit en copte au début du 5ème siècle. L’écriture originale en grec remonterait plus ou moins à 150.

 

[25] Jean-Yves Leloup. L’Évangile de Philippe. Albin Michel. 2003. Découvert en même temps et au même lieu que l’Évangile de Marie. Écrit en copte. Traduction d’un original grec  du 2ème siècle
[26] En : 1892 : Rodin dans une de ses études sculpte un Christ en croix  enlacé par une MM dévêtue...Au Musée Rodin à Paris. (CE.138 o.c. p.119). Les documents de Nag-Hammadi étaient encore sous les sables.

[27]  « gunè ètis èn en tè polei hamartôlos »
[28]  brechein : traduit aussi par baigner, arroser, irriguer
[29]  Certains partisans de l’identification avec Marie Madeleine arguent du fait que le texte de Luc parlant de l’entourage féminin de Jésus (8,1-3) fait suite à cet épisode.

[30]  Au 11ème siècle : le conte Girard de Roussillon (fondateur de l’abbaye de Vézelay) et l’abbé, vont se procurer le (soit disant) corps Marie Madeleine  en Provence.

[31]  CE 138 o.c. sup. p.128.

[32] « De même que, par la bienheureuse toujours  Vierge Marie, l’espoir du monde est incomparable, les portes du paradis nous sont ouvertes et la malédiction d’Ève est rejetée.
Ainsi par la bienheureuse Marie-Madeleine, l’opprobre du sexe féminin est rejeté et la splendeur de notre résurrection dans la résurrection du Seigneur est née, offerte par elle.
D’où Marie est dite avec raison « étoile de la mer ». Certes l’interprétation de ce titre convient spécialement à la Mère de Dieu qui a enfanté virginalement le Soleil de Justice, resplendissant dans le monde.
Cependant l’appellation peut convenir à la bienheureuse Madeleine qui vint au sépulcre du Seigneur avec les aromates et annonça la première la splendeur de la résurrection du Seigneur au monde.
Et si les disciples sont appelés pour cela apôtres, parce qu’il sont envoyés par lui même pour annoncer l’Évangile à toute créature, la bienheureuse Marie de Magdala n’en est pas moins envoyée aux apôtres pour écarter le doute et l’incrédulité de sa résurrection dans les coeurs. » (C.E. p.82)

 [33]  Voir dans Découvrir... oc p. 127. Un « verset satanique ».

 


 

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Publié le 23 Juillet 2011

B.  MARIE MADELEINE D’APRÈS LE TÉMOIGNAGE  DES ÉVANGILES

Avant la rédaction des Évangiles, entre l’exécution de Jésus (en 30) et la  rédaction  des Évangiles (entre 65 et 100),  un temps assez long s’est écoulé. Pendant ces années :

  • Le christianisme est sorti des frontières  géographiques  de la Palestine et des frontières culturelles du judaïsme.
  • Toutes les lettres écrites de la main de Paul ont paru. Elles ne contiennent jamais la dénomination « Jésus de Nazareth » et ne font  aucune allusion à Marie Madeleine.   
  • Ce n’était pourtant pas le silence absolu. De nombreuses traditions orales, et probablement des écrits sur l’action et les paroles de Jésus aujourd’hui disparus, ont pu être produits en différents endroits...  Quand Paul disparaît (probablement en 67), Marc qui a connu Paul, écrit son Évangile. Luc, Matthieu et Jean suivront.
  • Paul avait annoncé Jésus Christ ressuscité. Les évangélistes vont mettre en scène cette résurrection[12].  Leurs récits sont des témoins historiques sur la manière dont les chrétiens de la 2ème et de la 3ème génération ont vu la place de Marie Madeleine dans la vie de Jésus et au début de l’Église naissante. 


La présence de Marie Madeleine dans les quatre Évangiles

Dans les quatre Évangiles canoniques, Marie Madeleine est la femme la plus souvent mentionnée (14x) après Marie, mère de Jésus (19x). Lorsque son nom  apparaît dans le texte avec d’autres femmes, à une exception près, elle est toujours citée en premier.

Que disent les quatre Évangiles de Marie Madeleine ?

On peut regrouper les données qui y figurent en sept tableaux [13]  :

1. Marie Madeleine  fait partie de l’entourage de Jésus.
2. Elle est  présente à l’exécution de Jésus.
3. Elle est présente face au tombeau après l’ensevelisse- ment. 
4. Elle participe à la préparation des aromates.
5. Le matin du premier jour, elle se rend au tombeau (ouvert et vide).
6. Le Ressuscité lui apparaît. Elle est chargée de mission.  
7. Elle annonce la résurrection aux disciples.

Chaque Évangile évoque la plupart de ces points, mais présente également des caractéristiques propres.

1. L’Évangile selon Marc : Le texte le plus ancien... (vers l’an 70) [14]

a) Premier récit :  15,40-41+47  Jésus vient d’expirer sur la croix. Marc écrit : 

« Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé,  qui  le  suivaient et le servaient  lorsqu’il était en Galilée et beaucoup d’autres femmes qui étaient montées avec lui à Jérusalem. » 
 
L’auteur insiste sur le fait que ces femmes ont fait partie du groupe de disciples depuis le début en Galilée jusqu’à la croix. Le rôle de ces femmes est caractérisé  par deux verbes :

1. Elles suivaient  Jésus comme des disciples. Le verbe : akolouthein peut être traduit par « accompagner » mais désigne aussi ceux qui sont appelés comme disciples  : Simon et André, les pêcheurs, Lévi le douanier, Le jeune homme riche qui n’arrive pas à faire le pas.

2. Elles servaient Jésus. Le verbe servir diakonein ne désigne pas seulement le service de la table, mais l’attitude fondamentale du disciple « qui n’est pas au-dessus du maître » et qui doit être « comme celui qui sert » [15].

Ce texte est un témoin historique du fait que dans les années soixante, les premiers chrétiens ne voyaient aucun problème à l’existence de femmes disciples.

Après la mise au tombeau de Jésus les femmes sont toujours présentes : « Marie de Magdala et Marie mère de Joset  regardaient où Jésus avait été placé. » (v.47)

b) Deuxième récit : 16,1-8. Le sabbat étant passé, Marie de Magdala avec Marie, mère de Jacques et Salomé achètent des aromates pour oindre le corps de Jésus. La pierre du tombeau est roulée. Un jeune homme vêtu d’une robe blanche leur annonce : « Il est ressuscité. Il n’est pas ici. »... « Allez dire à ses disciples notamment à Pierre qu’il vous précède en Galilée».

Marie de Magdala et ses compagnes reçoivent officiellement mission d’informer Pierre. Mais la suite du texte semble déconcertante : « les femme s’enfuient... elles ne disent rien à personne, car elles avaient peur... »  Fin du texte primitif.      

l’Évangile de Marc se terminait par la peur des femmes.   Dans la suite on y ajoutera une conclusion plus rassurante inspirée des autres Évangiles. C’est dommage,  car l’échec sur lequel semble s’achever l’Évangile de Marc n’est pas une fin en soi, mais une expérience à dépasser. En effet Marc a mis comme titre à son Évangile: « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu... » (Mc 1,1). Avec le dernier verset nous sommes toujours dans ce « commencement. » C’est une ouverture vers l’avenir et un appel.

c) Que dit la conclusion (plus tardive) (16,9-13) concernant Marie Madeleine ?

V. .9  « Ressuscité  le matin,  le  premier  jour  de  la  semaine, Jésus apparut d’abord  à Marie de Magdala dont il avait  chassé  sept  démons.  10  Celle - ci alla  le  rapporter à  ceux   qui  étaient  ses compagnons  et  qui étaient dans le
deuil  et  les  larmes.  11 Eux l’entendant dire qu’il vivait  et qu ’ elle l’ avait  vu, ne  la  crurent  pas.  »

Retenons de Marc que les premières au tombeau étaient les femmes, que la toute première était Marie Madeleine, que ces femmes avaient suivi et servi Jésus dès le début, qu’elles étaient chargées de mission et avaient peur de parler.

Nul ne sait ce qu’elle est devenue Marie de Magdala dans la suite et si elle vivait encore au moment de la rédaction de cet Évangile dans les années soixante. Elle aurait alors entre cinquante et soixante ans.
 
2. L’Évangile selon  Luc (années 80-85)

a) Un texte propre à Luc : 8, 2-3

Luc est le seul a noter la présence de femmes accompagnant Jésus au cours de l’action de Jésus. Les autres évangélistes ne l’évoquent, qu’au moment de l’exécution de Jésus.

« Jésus faisait route à travers villes et villages et annonçait  la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, et les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres, qui les assistaient de leurs biens. » (Lc 8,2-3).

Dans ce texte, Luc, qui était probablement médecin, parle de la guérison de Marie Madeleine. N’oublions pas que dans l’antiquité chasser des démons, ou des esprits mauvais, signifiait  « guérir d’une maladie ». Luc  place Marie Madeleine en tête des femmes qui accompagnent Jésus avec les douze apôtres.

Les Douze avaient été appelés par Jésus[16].  Mais les Évangiles ne disent pas que Jésus a appelé Marie Madeleine et les femmes. Cela peut s’expliquer, car d’une part l’institution des douze apôtres voulait évoquer les douze tribus d’Israël, dont les ancêtres étaient des hommes. D’autre part le témoignage des femmes n’était pas reçu à l’époque. Cependant ne pourrait-on pas regarder les guérisons physiques et psychiques comme une réhabilitation sociale et religieuse qui permet de remplir une mission ?

En tous les cas cela a conduit Marie Madeleine à suivre Jésus. S’il n’y a pas d’appel explicite, il y a réponse concrète. D’ailleurs Luc relie directement les femmes qui accompagnent Jésus au groupe des apôtres : «Les Douze étaient avec Jésus ainsi que quelques femmes.» Lc 8,2 [17].

 b) Après la mort de Jésus : 23,49. 55-56 

 « Se tenaient à distance tous ses amis (cf. Ps 38,11) et des femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée. » (23,49)...

« Or les femmes qui étaient venues avec lui depuis la Galilée ayant suivi (Joseph) regardèrent le tombeau et  qu ’ elle l’ avait  vu, ne  la  crurent  pas.  »

Retenons de Marc que les premières au tombeau étaient les femmes, que la toute première était Marie Madeleine, que ces femmes avaient suivi et servi Jésus dès le début, qu’elles étaient chargées de mission et avaient peur de parler.

Nul ne sait ce qu’elle est devenue Marie de Magdala dans la suite et si elle vivait encore au moment de la rédaction de cet Évangile dans les années soixante. Elle aurait alors entre cinquante et soixante ans.
 
« Et revenues, elles  préparèrent aromates et parfums. Et le sabbat, elles se reposèrent selon le commandement. » (23,56 : verset propre à Luc). Pas de mention explicite de Marie Madeleine. Mais elle fait partie des femmes venues de Galilée.

c) Le  matin de Pâques : 24,1-11

Les femmes vont au tombeau portant les aromates qu’elles avaient préparées. La pierre est roulée. Le tombeau est vide. Deux hommes en habit éclatant les interpellent :  « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? » (question propre à Luc)...

Les femmes vont rapporter spontanément aux onze et à tous les autres ce qu’elles ont vu au tombeau. « C’étaient Marie de Magdala, Jeanne et Marie mère de Jacques. Les autres femmes qui étaient avec elles le dirent aussi aux apôtres. Mais ces paroles leur semblèrent pur radotage, et ils ne le crurent pas. » (24,11).

On peut comparer cette réaction à celle plus nuancée des disciples d’Emmaüs (également dans Luc) : « Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai,  bouleversés. S’étant rendues de grand matin au tombeau et n’y ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire que des anges mêmes leur étaient apparus, qui le déclarent vivant. » (24,22-23).


3. L’Évangile selon Matthieu (rédaction finale vers 90) 

a) À la croix : 27,55-56 et au tombeau : v. 61.

Comme Marc, Matthieu mentionne Marie Madeleine en premier parmi les femmes de Galilée présentes au calvaire,  puis il évoque son attente, assise avec l’autre Marie devant le tombeau où on avait placé le corps de Jésus. (M 28,1).

b) Le matin de Pâques

Marie Madeleine est de nouveau la première  avec l’autre Marie devant le tombeau. Elles reçoivent par un ange une première mission : « Allez dire aux disciples, il vous précède en Galilée... » (28,1-6).  La mission est confirmée  par Jésus lui-même qui apparaît aux deux femmes (v.8-9)

La dernière fois que Matthieu parle des femmes dans son Évangile, c’est pour affirmer à deux reprises qu’elles (Marie Madeleine et l’autre Marie) sont chargées de mission (Mt 28,6-10) par Jésus lui-même et avant les apôtres. C’est pour le moins étonnant. D’autant plus que ces textes  expriment la manière de voir à la fin du 1er siècle.


4. L’Évangile selon Jean. Le plus audacieux  (vers la fin du 1er siècle)
                                                                            
Cet écrit fut achevé vers la fin du premier siècle par une équipe de disciples de Jean. Concernant Marie Madeleine c’est le plus audacieux. Comme dans les autres Évangiles, Marie Madeleine  est présente près de la croix avec d’autres femmes. Elle n’est pas mentionnée la première mais la dernière : « Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la soeur de sa mère, Marie (femme) de Clopas et Marie la Magdaléenne. » (Jn 19,25)  [19].

Mais, à la différence des autres Évangiles, les récits du matin de Pâques ne parlent que d’elle, ceci par un récit en deux tableau.

a) Le premier tableau : 20,1-10

« Marie Madeleine vient au tombeau alors qu’il fait encore sombre.  Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court et elle vient à Simon Pierre et à l’autre disciple que Jésus aimait (Jean ?). Elle leur dit :‘Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis.’ » (v.1-2). Les deux disciples courent au tombeau. ‘L’autre disciple’ arrive le premier. Il voit et il croit. (v.3-9).  Pour Jean, Marie de Magdala est la seule et la première à découvrir le tombeau vide et à prévenir spontanément Pierre et l’autre disciple. (v.1-10).

b) Le deuxième tableau 20,11-18, présente Marie de nouveau près du tombeau.

Elle voit deux anges qui lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Pour la deuxième fois elle exprime sa question : « Ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l’ont déposé. » Elle se retourne, voit Jésus sans le reconnaître, qui lui demande : « Femme pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Une troisième fois, le prenant pour le jardinier, elle exprime son inquiétude : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre. » Jésus lui dit : « Marie ! »  Elle le reconnaît et lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est à dire « Maître ! ». Marie veut retenir Jésus. Peut-être se jette-elle à ses pieds pour les tenir embrassés. Jésus dit littéralement : « Cesse de me toucher ». Ce que l’on peut traduire par : « Ne me retiens pas ! »  [20] (20,11-17).

Pour Marie, le Jésus qu’elle a rencontré semblait d’abord être celui qu’elle a connu durant sa vie terrestre. Pourtant la suite des paroles de Jésus ouvrent sur l’avenir : « Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver les frères et  dis leurs : ‘ Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.’ ». (20,17).

Le récit s’achève sur une deuxième annonce de Marie de Magdala aux disciples, une annonce officielle pour laquelle elle a reçu mission : « Va trouver les frères et dis-leur ! » (Jn 20,11-18). 

Ainsi, d’après l’Évangile de Jean, Marie de Magdala est la première messagère d’abord spontanée, ensuite officielle de la résurrection de Jésus (Jn 20,18). Il s’agit d’une annonce faite par une femme à des hommes, eux aussi chargés de mission.

Il faut peser ce que cela signifie. Environ 60 ans après la mort de Jésus, alors qu’une grande majorité des chefs des Églises étaient déjà des hommes, l’auteur de l’Évangile de Jean affirme clairement que la première personne qui fut chargée d’annoncer la résurrection, non pas au tout-venant, mais aux premiers Apôtres, est une femme, Marie de Magdala[21]. 

Les prédécesseurs des papes (Pierre) et des évêques (Jean) reçoivent ainsi l’initiation au mystère fondamental de la Résurrection par une femme.

Depuis on a oublié la portée de ce texte. En revanche on affirme souvent le contraire par des théories, des paroles, des pratiques et des décisions soi-disant « éternelles ». À une époque où les femmes trouvent de plus en plus leur place dans la sociétés elles ne peuvent la trouver dans l’Église catholique romaine.

Si on avait pris au sérieux ces textes  concernant Marie Madeleine, il en serait peut-être autrement aujourd’hui...


[12]  qui sera placée dans la foulée des récits de la passion. 
[13]  d’après  Cahier Évangile  supplément  N° 138  Figures de Marie Madeleine p.4 ( cité ensuite : CE 123 o.c.)
[14]  L’ordre de présentation des Évangiles est l’ordre historique de leur parution.

[15] Pour plus de détails voir dans Découvrir toutes les femmes de la Bible p. 202. (A.Hari, Novalis. 2007)

[16] Mt 10,1-4 ; Mc  3,14-19 ; Lc 6,3-13. 
[17]  « ho dôdéka sun autô kai gunaikes tines... »

[18] Le récit pascal de Matthieu, comme celui de la mort de Jésus, utilise des images apocalyptiques.  À la mort de Jésus : la terre tremble, les rochers se fendent, les tombeaux s’ouvrent... (Mt 27,51-52). À la résurrection : un grand tremblement de terre, l’Ange du Seigneur intervient. C’est lui qui roule la pierre. Il a l’aspect de l’éclair. Les gardes son saisis d’effroi. ( Mt 28,3-4).

[19] Dernière nommée près de la croix, elle sera la première et la seule au matin de Pâques.
[20] « L’expression originelle mè mou haptou ne doit pas se traduire par «ne me touche pas » (noli me tangere), car en grec le temps présent de l’impératif singulier signifie non pas que telle chose doit être faite, mais que telle action commencée doit se poursuivre ; précédé d’une négation, il signifie non pas la défense de poser un acte, mais de continuer une action déjà commencée » Xavier Léon-Dufour. cf. Découvrir o.c. p  223. 

[21] Cette place prépondérante attribuée à Marie Madeleine ne doit pas faire oublier l’attitude de toutes les femmes présentes le « premier jour de la semaine » Voici les éléments communs des Évangiles sur ce rôle des femmes :  relevés par Xavier Léon-Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, le Seuil 1971
1. La mention du premier jour de la semaine. 2. Les femmes prennent l’initiative. 3. Elles arrivent avant les apôtres. 4. Elles savent ce quelles veulent. Elles ont une intention précise concernant le corps de Jésus.
5. L’entrée du tombeau était dégagée, la pierre roulée. 6. Les femmes voient un ou des messagers (un jeune homme, un homme, un ange ou deux anges). Ceux-ci ont tous quelque chose de commun : un habit éclatant suggérant que leur message est d’origine divine. 7. Ces messagers annoncent aux femmes que Jésus n’est pas ici. Ils les invitent donc à le chercher ailleurs, sous une autre forme de présence. 8. Ils leur annoncent le message pascal alors qu’aucun apôtre n’est pas encore présent. 9. Les femmes réagissent. 10. Les messagers leur confient une mission face aux disciples, ou aux apôtres, sauf en Luc, où elles partent spontanément annoncer l’étonnante nouvelle.
Ces données communes aux quatre Évangiles remontent à une tradition plus ancienne et permettent de supposer que la présence des femmes les premières au tombeau était bien un fait historique.  Dans le climat machiste de l’époque on ne l’aurait pas inventé (embarras ecclésiastique).

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