Publié le 11 Décembre 2011
Une démarche trop ignorée : recourir à la théologie pastorale (ou pratique)
Des services de plusieurs diocèses voisins avaient organisé une journée commune de formation en novembre dernier (2011). Elle concernait la liturgie. Le sujet en était : les célébrations dominicales. Le conférencier a exposé le sujet sur un mode déductif, à partir d'un principe théologique : la sacramentalité. Ce principe est relativement neuf, car il n'est pas encore inscrit dans les dictionnaires de théologie. Il devrait cependant être utilisé avec discernement, en distinguant son application à des éléments ou objets, à des actions, et à des personnes.
Dans ses explications, le conférencier a aussi évoqué ce qu’il appelait « le grenier de l'Église », qu’il a exploré pour en exhumer diverses pratiques rituelles et autres. Mais en visitant ce grenier, il faudrait pratiquer un discernement avisé, en reconnaissant la diversité de ses dépôts. En effet, pour rester dans la logique de cette comparaison, on y trouve des institutions fondamentales, établies par le Christ ou les apôtres, mais aussi des éléments accessoires, des institutions pour tel ou tel groupe dans le Peuple de Dieu (moines, par ex.), des « pièces de substitution », qui avaient été mises par les clercs à la disposition au peuple lorsque celui-ci était tenu éloigné de la liturgie, comme les dévotions, etc.
Le concile avait fixé des principes à ce sujet, quand il avait déclaré la liturgie comme « sommet et source » de la vie des Églises et demandé que toute autre institution lui soit subordonnée. Pour cela, il avait programmé des réformes visant à débarrasser les institutions, en particulier la liturgie et ses substituts, des ajouts rendus inutiles par le rétablissement des célébrations dans toute leur vérité. Cela aussi semble avoir être tombé dans l’oubli, puisque au cours de la même journée de formation liturgique les organisateurs avaient ajouté à la célébration du milieu du jour une pratique de substitution, l'Angélus, donc un doublon ajouté à l'original ! La plus ancienne tradition, représentée par un écrit appelé Didachè, recommande de prier le Notre Père 3 fois par jour. Mais ce jour-là, on a prié les trois Je vous salue Marie de l'Angélus, à la file évidemment, mais pas le Notre Père.
Tout cela manque de réflexion théologique authentique. Ou pour le dire autrement, la tendance dominante est de se contenter de réflexions déductives à partir de principes dogmatiques, ou autres, alors qu’en pratique liturgique, c’est à la théologie pastorale qu’il faut recourir, puis à la mystagogie. Celle-ci commente des actions ou des textes liturgiques, en fonction de la capacité et de l'expérience des auditeurs : par ex. faire découvrir à une assemblée le sens des gestes liturgiques qu’elle accomplit et la valeur des paroles qu’elle dit dans sa prière. Quant à la théologie pastorale, ou pratique, elle prend en compte en priorité des personnes ou des communautés, pour évaluer les parcours de foi à baliser, ou les expériences faites par ces personnes ou communautés. Par contre, commencer par visiter les greniers des Églises pour en valoriser les dépôts et les remettre dans le circuit conduit trop souvent à « mettre l’homme au service du sabbat » (Marc 2,27).
Un livre à lire, pour découvrir la théologie pastorale (ou pratique)
François Wernert, Le Dimanche en déroute. Les pratiques dominicales dans le catholicisme français au début du 3e millénaire, préface de Mgr Albert Rouet, archevêque de Poitiers, éditions Médiaspaul, Paris – Montréal 2010, 487 p.
En 1950, 80% des Français se déclaraient catholiques, et parmi eux 27% participaient à la messe dominicale. En 2006, ces pourcentages n’étaient plus que 65% et 4,5%. Ces chiffres expliquent le titre que notre collègue François Wernert a choisi pour l’étude minutieuse et systématique qu’il vient de publier et qu’il a menée selon les principes de la théologie pratique. À cet égard, le premier mérite de cette publication est de faire connaître ce qu’est la théologie pratique à un public qui le plus souvent ne connaît de la théologie que les exposés systématiques, voire apologétiques, de la doctrine. Le qualificatif « pratique » est à relier à la notion de praxis, qui considère l’homme dans son agir et dans ses projets et décisions d’action (p. 19). Si la théologie spéculative tend à traiter les réalités chrétiennes comme des notions à analyser, la théologie pratique, quant à elle, porte son attention et sa réflexion sur les communautés et les personnes, sur leur agir et sur leurs pratiques, pour les observer, les analyser et les confronter à l’Évangile et à la Mission.
L’étude publiée par François W. est un bel exemple de théologie pratique. Au fil des pages, l’auteur en explique la démarche et son organisation en cinq étapes : 1° analyse des pratiques étudiées, 2° exposé des textes de référence, 3° problématisations, 4° corrélations avec la tradition chrétienne mise en place depuis les origines, 5° préconiser des actions pastorales. La dernière étape l’indique clairement : il s’agit d’une théologie engagée. Certes, dans un passé récent et dans le dynamisme suscité par le concile Vatican II, sa préparation et sa mise en œuvre, de nombreux théologiens se sont engagés dans les actions des chrétiens et des Églises, attentifs aux signes des temps. Mais la situation actuelle des Églises catholiques d’Occident sollicite d’une manière inédite l’attention des théologiens qui veulent bien y être sensibles : c’est l’objet de la première étape annoncée ci-dessus, à savoir l’analyse des pratiques pastorales. Celles-ci sont remises en question, jusqu’à se trouver en pleine déroute, dans leur collision avec les nouvelles cultures et les nouveaux modes de vie.
Une juste connaissance de l’homme contemporain, destinataire de la Bonne Nouvelle, oblige à un parcours dans les allées des sciences humaines. FW s’y est livré longuement. Il y a recueilli les résultats d’enquêtes de terrain et d’études sociologiques portant sur les pratiques et les activités dominicales, non seulement du point de vue des Églises, mais dans la variété des occupations possibles, de leurs incidences commerciales jusqu’aux loisirs les plus divers. Dans la seconde partie de son étude, FW a réuni une vaste documentation concernant directement ou de façon connexe la tradition chrétienne du dimanche, jour de convocation des assemblées locales pour l’eucharistie, le mystère de la résurrection et de la vie nouvelle.
La troisième étape, celle de la problématisation, met en évidence l’écart croissant entre la répétition invariable du discours magistériel sur l’importance du dimanche et de l’eucharistie d’une part, la réduction inexorable des possibilités de célébrer effectivement l’eucharistie, faute de ministres qualifiés, et le désengagement des populations catholiques d’autre part. C’est cela, la déroute dont il s’agit. Dans les deux dernières étapes de son cheminement, FW ouvre des pistes, par un examen élargi de la Tradition et en formulant des propositions d’action, pour une remise en route, bref, c’est l’antidote de la déroute.
Le P. Albert Rouet, archevêque de Poitiers, a préfacé cette publication. Ce n’est que justice, car FW rend compte, par une évidente complicité, des initiatives de ce pasteur inventif pour renouveler et affermir le tissu communautaire dans son diocèse, où, de son fait, « la situation concrète des communautés locales n’est pas d’abord considérée en fonction des prêtres, ni même en fonction du lieu, du territoire, la priorité est donnée aux personnes prêtes à faire Église ensemble. » FW en conclut : « c’est déjà une première révolution, inédite dans l’Église de France ».
Marcel Metzger