Publié le 25 Septembre 2007

Voici le texte de la conférence de François SOULAGE donnée à Strasbourg lors du Printemps de Jonas 2007 :


•    Présentation du conférencier par Gérard Pigault, animateur de la séance

En guise d'introduction de l'intervention du conférencier, l'animateur de cette séquence interpelle les participants sur le souvenir qu'ils ont du nom de Marcel Barbu. Les souvenirs fusent de la salle sur ce candidat à l'élection présidentielle de 1965 qui représentait le mouvement coopératif et les initiatives d'économie sociale. Henri Desroche, le Père Joseph Lebret (inspirateur de l'encyclique Populorum progressio dont on célèbre les 40 ans cette année) sont également évoqués.
Plus en amont cette grande tradition de l'économie sociale de Charles Fourier et de Charles Gide, des mouvements mutualistes et coopératifs et de leur dimension utopique jusqu'à la mise en place d'une délégation interministérielle à l'économie sociale remise en valeur par Michel Rocard constitue la veine dans laquelle s'inscrit François Soulage.

Né en 1943, François Soulage est diplômé de Sciences Po, président du comité chrétien de solidarité avec les chômeurs et  précaires (CCSC), président-directeur-général de l’Institut du développement  d’économie sociale, délégué interministériel à l’économie sociale (1989-1992), membre du PS, président du conseil de surveillance de Chèque  domicile, fondateur de l’association « convictions »

Nous le remercions d'avoir accepté de nous ouvrir aux nouvelles formes de solidarité sociale si essentielle dans le contexte d'une mondialisation du libéralisme économique.

Ses engagements personnels comme la grande compétence construite au fil des expériences et des responsabilités font de François Soulage un observateur/acteur qui interroge avec pertinence nos propres pratiques au sein de Jonas.
Cette ouverture indispensable sur la vie des femmes et des hommes de ce temps, leurs difficultés mais aussi leurs espoirs et leur créativité tisse la trame de notre réflexion.


•    Texte de la conférence de François Soulage



Je suis le Président du CCSC (comité chrétien de solidarité avec les chômeurs et les précaires) dont vous trouverez des exemplaires de la revue dans l’entrée, et nous avons eu la semaine dernière notre rencontre nationale avec Chrétiens en Forum et les amis de la VIE, sur le thème proche du votre : Les élections, chômage, emploi, migrations, mondialisation, des chrétiens font part de leurs convictions.

Je suis aussi engagé dans l’économie sociale à deux titres, professionnellement comme président de l’IDES (institut du développement d’économie sociale) et, à titre bénévole, comme président de l’UNAT (union nationale des associations de tourisme).

Enfin, j’interviens dans mon diocèse, Nanterre, sur les questions de pauvreté et précarité, pour la formation des laïcs.

Olivier Bobineau  hier, vous a parlé des attentes des femmes et des hommes d'aujourd'hui, et tout particulièrement des jeunes de 18 à 35 ans.

Ce matin, en atelier, vous avez rencontré des témoins engagés dans les domaines de la solidarité, du partage et du service. Mais vous me demandez des chemins de solidarités, entre utopie et résignation ; Or  la première des utopies n’est-elle pas la solidarité elle-même. Elle a toujours existé, mais a-t-elle vraiment changé le monde. N’est-elle pas en permanence à rebâtir et à repenser.

Vous avez, comme moi, constaté la valeur et l'exigence de tels engagements de solidarité qui vous ont été présentés. Ils sont marqués me semble-t-il, par deux caractéristiques qui peuvent paraître contradictoires.

-    l'engagement solidaire

-    la suppléance et  la subsidiarité

 Je reviendrais sur chacun de ces deux points  à commencer par l'engagement.

1. L’engagement solidaire


Cet engagement trouve sa source dans notre foi chrétienne. C'est elle qui nous conduit à intervenir dans le monde.

 Comme le disait la semaine dernière, Mgr Herbulot lors de notre rencontre annuelle du CCSC, le salut est apporté à l'homme et nous en sommes le vecteur. Le chrétien vit une double citoyenneté, il est chrétien et citoyen, et sa foi chrétienne alimente sa conscience de citoyen. Mais les deux se complètent sans se superposer. Il doit être dans ce monde qui se fait car Dieu aime l’homme. En se faisant homme, le Christ s'est découvert frère de l'humanité. Notre mission est donc de faire passer le sens de l'Évangile dans les veines du monde moderne et par exemple nous devons refuser l'idolâtrie du profit et de l’argent qui empêche l'homme de découvrir sa dignité. C’est pour moi une première pierre sur la route que nous allons emprunter

 C'est cet engagement dans le  monde qui nous fait poser un regard bienveillant et surtout un regard optimiste. Votre  titre lui-même  reprend cette bienveillance puisque qu'il dit «  entre utopie et résignation les chemins dès solidarités ». C'est donc qu'il existe un chemin.

Dans l'association que je préside, le CCSC,  nous avons voulu mettre en rapport solidarité et  fraternité, en effet il nous semble que le geste de solidarité que nous chrétiens avons souvent l'habitude de faire, va plus loin que ce que peuvent faire au nom de leur humanisme, beaucoup de ceux avec lesquels nous travaillons. Je distingue ainsi une solidarité sociale, souvent à base de redistribution publique dont nous pourrons parler si vous le souhaitez,  et une solidarité fraternelle dont nous allons parler maintenant.


2. La solidarité fraternelle comme forme particulière d’engagement


Ce chemin de la fraternité, c'est-à-dire cette forme supérieure de solidarité que j’appellerai « solidarité fraternelle », peut prendre beaucoup de formes ;
 
Celui que je rencontre,  avec lequel je chemine,  est mon frère et c'est pour cela que ce geste de solidarité, c'est-à-dire de réciprocité dans l'approche est aussi signe de fraternité car nous chrétiens nous nous reconnaissons dans ce frère

Ce ne sont pas que des paroles c'est un changement personnel profond auquel nous sommes appelés à participer. Je vais reprendre ici une expression de Étienne Grieu : «quand on s'est effectivement risqué à la solidarité,  cette relation ne reste pas unilatérale, elle aboutit bien à un échange, et celui-ci n'est pas toujours celui  auquel on s'attendait. Ceux qui ont vécu de tels engagements racontent comment ils ont été étonnés et se sont retrouvés au fil de leurs itinéraires, bouleversés. C’est que parfois quelque chose leur a été donné en retour, alors qu'il ne s'y attendait pas. L’échange qui a pu advenir en ce moment est tout simplement un échange des places. Il est du type de celui du lavement des pieds : le maître se retrouve dans la position de celui qui sert. Celui qui se risque à s'adresser à ceux qui n'ont pas de quoi lui rendre, se voit dépouillé de ses assurances parfois même de ses qualités humaines. C'est à chaque fois une épreuve parfois même une chute.


2.1. L’exemple des migrations

 Je vais prendre  cet exemple, qui a créé incompréhension et division lors de notre rencontre nationale.

Pour moi chrétien, le migrant est mon frère, et c'est pour cela que, avec ou sans papiers, il a le droit de vivre à mes côtés. Au nom de quoi, en  fonction de quoi pourrais-je affirmer, si  je suis chrétien, qu'il n'est pas mon frère. Et comme beaucoup de mes frères il souffre, mais lui, a particulièrement mal. Il a mal, il a choisi de quitter son pays et sa famille et nous l'accueillerions comme un intrus ? Et pourtant combien de chrétiens aujourd'hui se retrouvent soit dans les propositions les plus extrémistes soit même, hélas, dans ce concept si bizarre « d'identité nationale» qui me paraît être aujourd'hui l'une des formes dissimulées d'un nationalisme, voire d’un racisme que l’on ne veut pas  assumer. C’est cette approche particulière de la question des migrations qui doit être notre marque spécifique même si elle pose problème. Tous ceux qui œuvrent dans la pastorale des migrants devraient crier haut et fort. « La migration est d’abord une souffrance pour l’immigré ».Cela obligerait le politique à regarder différemment cette question. Nous aimerions entendre cela dans la campagne électorale.

2.2. La situation de chômage.

Prenons un autre exemple. Le chômeur, celui dont on entend trop souvent dire qu'il a volontairement choisi de refuser de travailler., S'il est mon frère, je dois entendre sa souffrance, et je dois partager cette souffrance. Comme nous le disions encore samedi dernier, le chômeur est d’abord un homme seul qui ne peut  le plus souvent partager sa souffrance avec sa famille ses proches ou ses amis. Il a honte de cette situation car il pense que, autour de lui, chacun estimera qu'il n'a pas fait ce qu'il fallait pour retrouver un travail.  Notre premier geste doit être l’écoute fraternelle. Beaucoup d’entre nous pensent tout de suite à trouver un emploi pour ce chômeur. Or tous ceux qui ont une pratique professionnelle nous disent que la priorité est de permettre à cet homme ou à cette femme d’être à nouveau « debout » Pour cela l’écoute est essentielle, pour permettre à chacun de reconstruire son « moi » démoli par tant de galères et de refus. Au-delà de cette écoute et de cette reconstruction, il faut absolument imposer  l'idée que pour un retour à l'emploi efficace dans une entreprise le chômeur doit bénéficier d’un accompagnement personnalisé. C’est un champ dans lequel nous pouvons nous investir aux cotés des associations telles que les maisons des chômeurs. Intervenir pour soutenir les entreprises d’insertion qui ont aussi cette mission, mais qui manquent de bénévoles pour l’accompagnement des personnes en insertion.

2.3. Des actions publiques essentielles.

Parmi les actions de lutte contre la précarité, je voudrais revenir sur trois actions publiques, souvent décriée et qui, pourtant à mes yeux, ont  été essentielle : le RMI, et son corollaire la CMU, et les emplois jeunes.

Sur le RMI on entend souvent dire qu’il y a des tricheurs. Savons nous que le pourcentage de ceux qui « abusent » est très inférieur à celui de ceux qui ne paient pas l’ISF, ou qui trichent sur leurs revenus. Sans parler des entreprises qui, en implantant leur siège social dans des paradis fiscaux, échappent largement à l’impôt sur les sociétés.

C’est la même remarque sur la CMU qui a surtout permis à des personnes en perdition de retrouver des soins médicaux de qualité, essentiels pour tenter de retrouver un emploi.

Enfin, les emplois jeunes ont été essentiels pour offrir à des jeunes peu qualifiés des possibilités d’emploi qui n’existent plus depuis la fin de ce programme. Ils étaient souvent la seule possibilité offerte à des jeunes en difficultés.
Ces trois mesures ont été considérées comme très couteuses et peu efficaces, si l’on en croit certains candidats. Pour moi, c’est parce qu’elles ont été mal accompagnées, que le bilan n’est pas, peut-être celui que l’on espérait. Mais qui s’est préoccupé du I de RMI, sinon ceux qui comme beaucoup d’entre vous ont consacré du temps à l’accueil des chômeurs. Il serait temps que nous nous exprimions.

C’est pareil avec les emplois jeunes. Dans mon secteur d’activité professionnelle, je peux vous dire que ce fut une réussite. Et par ailleurs qu’avons- nous d’autre à offrir à des jeunes peu qualifiés ? Je souhaite que ce programme reprenne, mais il faudra que cela s’accompagne d’un formidable effort de formation. Je ne doute pas que les régions s’y engagent. Mais nous devons, partout ou nous le pouvons, insister sur cette nécessité.

Je me réjouis que certains candidats (ou plutôt candidate) ait décidé de les relancer.
 
Nous chrétiens, devons dire et réaffirmer que lorsque 9 % de la population est officiellement au chômage, que lorsque les deux tiers des emplois nouveaux sont des contrats précaires, ce qui touche particulièrement les jeunes, que lorsque 7 millions de salariés ne travaillent pas à temps plein, la société va mal, la fraternité n'est pas vécue. Le fronton de nos mairies nous parle de liberté, d’égalité et de fraternité. Ceci est un mensonge, voire une imposture. Et c'est pour cela que mon geste de solidarité va plus loin qu'un simple geste humaniste il est ce geste de partage essentiel qui permet à l'individu de retrouver sa place dans la communauté des hommes.

2.4. L’engagement politique comme forme supérieure de la fraternité.

 En cette période électorale et au risque de vous surprendre, il me semble que l'une des formes les plus importantes de fraternité est l'engagement politique.

Je suis militants d'un parti politique, mais ce n'est pas tant  le fait d'être militant qui est le geste important, c'est de mettre en œuvre, partout où on le peut, cette volonté de transformer la société pour la rendre plus juste et plus humaine. Je me suis engagé en politique parce que ma foi chrétienne m’imposait ce choix, par ce que, pour moi, le premier devoir du chrétien est de mettre en œuvre l'option préférentielle pour les pauvres. Pour moi, l'un des moyens d'y répondre était de défendre, pour l'organisation de notre société, des idées et des projets permettant d'avancer vers cette grande fraternité. Pour faire avancer ces idées, il faut se frotter au monde politique, faire des propositions, du lobbying auprès des décideurs, en étant de leur monde, et aux cotés d’eux dans les moments importants que sont les élections. Et non comme un observateur qui se garde sa totale liberté de penser

Le pape lui-même, en sa dernière encyclique « Dieu est amour » nous dit bien que rien ne peut remplacer l’engagement personnel, en particulier l’engagement politique qui signifie prendre part au  débat de société,  donner son avis sur les règles de la vie commune.

2.5. Un choix professionnel en accord avec mes valeurs.

Cet engagement politique et ma réflexion chrétienne m'ont conduit dans ma vie professionnelle à faire un choix, celui de me mettre au service d'entreprises différentes dans laquelle l'espoir est de voir les hommes et les femmes être traités différemment. De voir le capital mis au service des hommes et non les hommes mis au service du capital. C'est ce que j’appelle l'engagement dans l'économie sociale et solidaire, dans des entreprises qui fonctionnent autrement, et dans lesquelles je suis sûr que le profit ne sera pas l’indicateur principal, même s’il est nécessaire pour le développement. Dans une entreprise dans laquelle c’est la production de biens et de services qui utilise du capital, et non, comme c’est la règle dans le droit des sociétés de capitaux, le capital doit être rentabilisé, grâce à la vente de biens et de services. Ce changement de paradigme est essentiel. Pour moi ce qui est fondamental dans notre monde contemporain est de savoir comment ont été obtenus et à quoi servent les résultats des entreprises, et non de me révolter contre leur montant.

Ici je voudrais faire un petit dégagement pour vous dire combien je suis méfiant face à certaines expressions à la mode. L’économie solidaire pourrait en faire partie si l’on n’y prend garde. La RSE (laresponsabilité sociale des entreprises) fait aussi partie de ces expressions en vogue, qui ont certes le mérite de mobiliser des jeunes, répondant en cela à une préoccupation d’Olivier Bobineau, mais qui par leur imprécision peut conduire à des dérives et donc à des découragements.

Dans ce monde de l'économie sociale on retrouve beaucoup des initiatives qui ont été présentées ce matin. C'est dans ce monde que sont nées deux idées-forces aujourd'hui : l'insertion par l'activité économique, et le commerce équitable. C'est encore dans ce monde qu’ont pris naissances les activités de services aux personnes, à travers les associations d'aides et de soins à domicile. Il est vrai qu'ici en Alsace du fait de l'importance prise par de très grandes associations qui couvrent l'ensemble du département vous en avez  une vision faussée. Mais dans le même temps si l’ABRAPA ou l’APA n’avaient pas existé, qu'en serait-il devenu de toutes les personnes qui aujourd'hui ont recours à ce service. Pour rester sur cet exemple et ne pas aller chercher très loin ce que nous pouvons faire près de nous n'est-il pas essentiel que ces activités de services aux personnes soir de bonne qualité que les personnes aidées puissent rencontrer régulièrement des bénévoles et pas uniquement des salariés pour compléter l'intervention plus technique par une attention humaine auprès des personnes isolées. Que ce ne soit pas l’occasion d’une précarisation des emplois. Or, si les conseils généraux n’y sont pas attentifs, c’est ce qui va se passer. Nous pourrons y revenir.


3. La suppléance et la subsidiarité

C’est l’autre visage de l’engagement dont je vous avais parlé au début de cet exposé .C’est, avec le développement de la seule solidarité sociale,     l’un des dévoiements possible de cette belle idée de solidarité.

De fait,  dans notre société française qui repose beaucoup sur l'intervention de l'État, on constate de plus en plus que celui-ci ne peut être au plus près de l'ensemble des problèmes qui s'y posent. Pire même, les institutions publiques sont prises souvent dans un carcan réglementaire qui les empêche d'avoir la souplesse dont elles auraient besoin face à des besoins à la fois très hétérogènes et très changeants dans le temps. Il est donc tentant pour les institutions publiques de faire appel de plus en plus au bénévolat pour pouvoir remplir des fonctions que l'institution ne peut plus remplir or la solidarité ne peut être une obligation publique, elle ne peut obéir à aucune contrainte, elle est avant tout un choix personnel.

Or nous voyons beaucoup de chrétiens engagés dans des associations, ou des institutions, qui remplissent des fonctions qui dépendent avant tout de ce que j'ai appelé la solidarité nationale. Il est important pour nous chrétiens de veiller à ne pas faire ce que d'autres peuvent ou devraient faire, quitte à dénoncer des manquements,  ce qui alors pourrait justifier un engagement au service de la communauté humaine.

Avec cette interrogation sur la subsidiarité, je me demande où situer le don, à la fois le don gratuit de temps, et le don monétaire qui pour beaucoup est le premier geste de solidarité.

Je pense que tout ce qui remet en cause l’utilisation inconsidérée de l’argent, est un facteur de progrès, mais pour nous chrétiens ce doit être une première étape vers une action plus concrète. Investir mieux son épargne est important à condition de bien savoir de quoi il s’agit. Il faut bien distinguer ce qui est éthique, partage et solidaire. Le niveau d’implication dans un monde plus juste y est progressivement plus important. Il existe beaucoup de possibilités de rendre notre argent utile, par exemple à travers des initiatives comme Habitat et Humanisme dont vous avez l’illustration récente ici

4. Le rôle des communautés

 Je voudrais pour conclure insister sur le rôle que peuvent jouer nos communautés.

Elles doivent, je pense,  devenir des communautés diaconales. Ce qui signifie qu’elles doivent s’ouvrir pleinement au service de l’autre. Je vous propose donc un renversement d’attitude par rapport à ce qui est habituellement la pratique ecclésiale. Très souvent nos communautés délèguent la fonction solidaire à des spécialistes, que l’on s’empresse d’oublier sauf le jour de la collecte nationale. Une communauté diaconale au contraire s’alimente et vit autour de la priorité aux plus pauvres. Cela doit se voir dans la liturgie, dans la constitution des conseils. Le Père Grieu dit dans un document que je vous recommande : « l’horizon que l’on doit garder est que les communautés, peu à peu, dans leur ville, dans leur quartier deviennent des veilleurs, qu’elles prennent l’étoffe de partenaires exigeants vis-à-vis de la cité, sensibles à ce qui touche à la dignité des plus démunis, capables aussi de voir ce qui est beau et de prendre de initiatives ».

C’est en devenant ainsi que les chrétiens engagés que nous sommes se trouveront à l’aise dans ces communautés. Dans un édito récent de sa lettre église des hauts de seine, mon évêque, le Père Daucourt disait  « il faut que la priorité aux pauvres sorte de nos sous-sols »



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Rédigé par jonasalsace

Publié dans #@rencontres

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Publié le 25 Septembre 2007

Voici le texte de la conférence qu’Olivier Bobineau donna à Strasbourg lors du "Printemps de Jonas 2007" :

• Présentation du conférencier par Gilbert Adler, animateur de la séance

Olivier Bobineau est sociologue et politologue. Professeur agrégé en Sciences économiques et sociales, Docteur en sociologie et membre du Groupe « Sociétés, religions, laïcité » du CNRS. Il est engagé dans sa Paroisse d’Evry en équipe de préparation au mariage et en ACI. Il travaille sous différentes formes avec l’équipe nationale Jonas.
O. Bobineau a reçu le Prix parlementaire franco-allemand pour son ouvrage Dieu change en paroisse : une comparaison franco-allemande, PUF de Rennes, 408p.


• Texte de la conférence d’Olivier Bobineau

La société d’aujourd’hui et de demain

Introduction

Avant de traiter le thème, j’aimerai apporter trois précisions importantes :

- quand on parle de la société d’aujourd’hui et de demain, il faut prendre en compte une génération en particulier : la génération qui travaille, qui élève les enfants, qui paie les retraites, c’est-à-dire la génération des jeunes adultes, celle des 18 à 35 ans ;

- cette génération n’est pas dans l’Eglise ; elle ne pratique pas ;

- l’attitude de cette génération clé doit poser problème aux chrétiens – c’est-à-dire à nous tous qui formons l’Eglise, selon le concile Vatican II - : pourquoi les jeunes adultes sont-ils absents de l’Eglise ?

En ce qui concerne l’Eglise comme institution, apportons une précision. Elle considère que la jeune génération comprend les 18 (ou 25) à 45 ans. Ceci est une erreur sociologique. A 45 ans, on est souvent déjà dans une seconde vie : on a refait sa vie ; on a une famille recomposée ; on a changé de travail. Alors qu’à 25 ans, on est encore dans une situation très différente : on est étudiant ; on n’a pas d’enfants ; on cherche du travail ; on a moins d’expérience qu’à 45 ans.

A partir de ces considérations, définissons les caractéristiques de cette génération. Elle a trois préoccupations majeures :

- ce sont des personnes en voie de déracinement ; elles cherchent à quitter le domicile des parents, souvent difficilement ;

- elles cherchent à s’enraciner, en particulier à se marier ; cet enracinement prend du temps (l’âge moyen au moment du mariage est de 29 ans pour les femmes et 31 ans pour les hommes ;

- elles entrent sur le marché du travail après des études - souvent longues - et des périodes de travail temporaire et de chômage.


Première partie / La genèse de la jeune génération et de la société d’aujourd’hui (1968-1989)


Dans cette partie de notre exposé, nous parlerons de la socialisation, c’est-à-dire de l’ensemble des techniques et des mécanismes qui permettent la transmission des valeurs et des référents au fil des générations. Nous évoquerons d’abord une triple crise que connurent les années 1968 à 1989. Puis le nouveau visage de la génération des 18-35 ans. En particulier leurs croyances religieuses, leur morale et leurs valeurs et la méthode dont ils usent pour les élaborer.

1. Une triple crise

Entre 1968 et 1989, on observe une triple crise : économique, politique et idéologique, et spirituelle.

1.1. Une crise économique

La période se caractérise par l’apparition d’un chômage de masse (qui suit deux chocs pétroliers). En France, le nombre de chômeurs passe de 480.000 en janvier 1974 à 820.000 en octobre de la même année. En 1975, on dépasse le million de chômeurs et en 1983 le pays en compte deux millions. Avec ses conséquences politiques : des difficultés électorales pour la gauche et la montée du Front national.

En même temps, on assiste à une financiarisation de l’économie. Les modes de financement et la création monétaire deviennent premiers dans l’économie. Cette évolution se manifeste notamment par le montant des transferts de capitaux sur le marché des finances (1.500 milliards de dollars par jour, c’est-à-dire 20 fois le produit intérieur brut de tous les pays de l’O.C.D.E.). Cet échange de capitaux repose essentiellement sur des négociations de contrats consistant à acheter des actions et des obligations à des un prix donné et à les revendre à un prix plus élevé pour en tirer un maximum de bénéfices. Cette spéculation, sous forme de paris, suppose une confiance dans la possibilité de faire des gains. Mais elle est dangereuse et peut susciter la crise. Si on n’a plus confiance dans l’avenir – si on pense qu’il ne sera pas possible de faire des bénéfices conséquents dans un futur proche – on retire ses capitaux. Ce qui entraînera un manque d’argent pour les entreprises qui souhaitent investir et peut même les pousser à la faillite.

1.2. Une crise politique et idéologique

Entre 1968 et 1989, on assiste à une critique de la modernité, de ses techniques et de ses acquis. Des mouvements alternatifs apparaissent. La vie en communautés est considérée comme une réponse possible à cette remise en cause.

Ce mouvement dit post-moderne critique d’abord le capitalisme à travers son caractère idéologique rationalisant et rationalisateur à une époque ou le travail et la réussite sont considérés comme les premières valeurs par une majorité de Français. Simultanément, on souhaite mettre en place des moyens de régularisation d’un capitalisme considéré comme ultra-libéral.

L’année 1989 et aussi marquée par l’effondrement du communisme stalinien. A savoir la mise en question de l’idéologie marxiste productiviste et de l’efficacité et de la viabilité d’un système politico-administratif prônant la mise en commun des moyens de production pour que « chacun est selon ses besoins ».

1.3. Une crise spirituelle

Dans l’Eglise catholique, on assiste à une désinstitutionalisation. C’est la fin de l’institution religieuse et de la civilisation paroissiale [voir : Yves Lambert, Dieu change en Bretagne, 1985, et Olivier Bobineau, Dieu change en paroisse. Une comparaison franco-allemande, 2005].

La société paroissiale reposait sur une hiérarchisation et un ordonnancement des valeurs et des croyances sous une forme pyramidale : au sommet Dieu, puis l’évêque du diocèse, le curé du village et le père de famille. Le contrôle social était parfaitement orchestré par le haut au nom d’un ordre métasocial/divin. Les femmes étaient présentes…autrement. Telle Marie, elles étaient d’abord – seulement – mères. Une société immuable s’établissant depuis le quatrième concile de Latran (1215) et renforcée par le concile de Trente (1543) s’effondre ainsi irrévocablement dans le seconde moitié du 20ème siècle. La paroisse est morte, écrivait Le Monde en première page en 1980.

Simultanément, on assiste à un développement et à un fleurissement de nouveaux mouvements spirituels. Comme l’apparition en France des groupes charismatiques dès 1972, en provenance des Etats-Unis. Ils se caractérisent par :

- la primauté de l’émotion et du charisme,

- la radicalisation dans la condamnation de la modernité et

- l’utilisation de techniques de communication personnelle et de moyens d’atteindre le bien-être de l’individu.

Des constations précédentes, il ressort que le catholicisme tridentin est bien mort.

2. Le nouveau visage anthropologique

Ces trois crises ont profondément transformé la société contemporaine. Relevons cinq niveaux de transformation.

2.1. Changement du rapport à soi

On assiste à l’avènement définitif de l’émotion et de la sensation qui se substituent à l’émoi.

L’expérience collective est remplacée par l’expérience individuelle.

La communauté devient une mutualisation des expériences individuelles.

2.2. Changement du rapport aux autres

Le rapport aux autres n’est plus ni communautaire, ni idéologique, ni idéaliste. Il devient :

- sociétaire : c’est-à-dire contractuel (si on n’est plus d’accord, on dénonce le contrat),

- individualiste (on dit : moi, personnellement, je…)

- pragmatique (on teste et on met à l’épreuve).

2.3. Changement du rapport aux choses

La production des choses est supplantée par la consommation des choses et le pouvoir d’achat.

L’efficacité (mise en place de tous les moyens pour atteindre une fin) est remplacée par l’efficience (atteindre une fin au moindre coût).

2.4. Changement des rapports aux croyances non religieuses

Ce rapport devient critique et réflexif. Sans cesse, tout jugement est soumis à critique. Et la critique est elle-même critiquée.

2.5. Changement du rapport à Dieu.


Deuxième partie / L’Evangile dans la société d’aujourd’hui


1. Morale et croyance de la jeune génération

1.1. Le contenu

La morale des 18-35 ans est relationnelle et affinitaire. Alors que celle de leurs parents était subversive et contestataire et celle de leurs grands parents était attestataire.

Dans la société actuelle, on sépare morale publique et morale privée. La jeune génération est très exigeante sur la morale publique (condamnation des abus de biens sociaux, contrôle des hommes politiques ...) et utilise le vote comme sanction le cas échéant. Par contre, elle est très tolérante en ce qui concerne la morale privée.

Aujourd’hui, l’engagement communautaire du militant est remplacé par l’engagement sociétaire de l’associé qui passe par un contrat ponctuel (Jacques Ion). Quoique plus ponctuel, l’engagement reste très intensif.

La croyance devient fondamentalement autonome et itinérante (changement de croyances).

1.2. La méthode

On applique une méthode élective. Les croyances ne sont plus transmises, mais on les choisit. Dans le passé, on naissait dans l’Eglise et on adhérait à une secte.

On met aussi l’accent sur le principe de proximité (qui est représenté par la famille, les amis). On remplace la morale des pères par la morale des pairs.


2. De l’effervescence à la hiérarchisation des valeurs

2.1. Des valeurs en grand nombre

La jeune génération est en face d’une effervescence des valeurs. Jamais, dans aucune société, on avait le choix entre autant de valeurs.

2.2. A la recherche d’une cohérence dans les valeurs

L’ancienne hiérarchisation des valeurs par la société a disparu. Il appartient à la personne de mettre en place individuellement une nouvelle hiérarchisation des valeurs ou du moins d’établir une cohérence dans les valeurs.
L’enjeu aujourd’hui est de savoir comment faire « le tri », de se prononcer sur les choix à faire et de tenter de les incarner.

2.3. L’inculture religieuse

La transmission des valeurs religieuses vers la génération des 18-35 ans ne s’est pas faite durant les années soixante-dix et quatre-vingt. Ils vivent dans une totale inculture religieuse : ils sont devenus « boiteux », c’est-à-dire qu’ils ont une grande culture mathématique/scientifique/critique acquise au fil des études secondaires et dans le supérieur qui remet en cause in fine leur culture de foi acquise durant leur enfance quand ils ont été catéchisés. Ils sont véritablement en déséquilibre de ce point de vue.

Conclusion

Le catholicisme tridentin est mort : la société paroissiale et l’Eglise des curés ont disparu. Vive le christianisme d’amour. On assiste chez les 18-35 ans, à une aspiration à l’amour, à l’agapè, qui est pardon/don/abandon... Et qu’on retrouve à travers la structure de la messe – faire l’amour, c’est comme la messe (demande de pardon/don de la parole/eucharistie).

La condition d’une transmission efficace est l’inversion de la pédagogie. C’est d’abord reconnaître qu’on ne sait pas. Puis c’est chercher. Enfin, savoir demander pardon (pour un enseignant même à ses élèves, pour un parent même à ses enfants).

En réalité, les jeunes n’ignorent pas l’existence des valeurs. Très nombreuses. Trop nombreuses. Mais ils ont du mal à choisir. Il nous revient de creuser la notion de projet qui permet de conjoindre et d’articuler l’ordre et le mouvement, ainsi que la notion de développement.

Un terme est porteur pour les 18-35 ans : le sens, qui s’entend comme direction, signification et incarnation.

L’histoire de l’Eglise est faite de moments de tension et de dialogue entre l’institution (représentée par Pierre) et l’agapè (représentée par Jean). Paul se situe à la jonction des de ces deux pôles constitutifs de l’Eglise. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous à propos de plusieurs aspects dont la finalité de l’Eglise, sa légitimité ou sa relation au monde.

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